Notre famille compte un petit garçon porteur de Trisomie 21. Huit ans après sa naissance, tous – parents et frères et sœurs de Pier-Yves – sommes profondément heureux de sa présence. Parce qu’il est heureux de vivre et joyeux. Parce qu’il apporte une grande richesse humaine et affective parmi nous. Parce que son existence, sa vie, sa condition (etc.) sont si loin – terriblement loin – de tout ce que notre société imagine et dit d’elles ; des images, conceptions et stéréotypes qu’elle se fait et véhicule sur l’être humain qu’est « un trisomique ».

Et c’est ce dont ce court article veut témoigner, comme un « cri » à la fois scandalisé et plus qu’attristé, mais aussi un appel à porter sur ces frères en humanité – comme sur toute personne handicapée – un regard d’espérance et d’accueil… Comme une brève réflexion et un témoignage fondé sur du vécu.

Adolescent, il m’arrivait souvent de croiser – en voiture ou à pied – un homme porteur de Trisomie 21, qui habitait un petit village traversé par la route que nous empruntions fréquemment.

Déambulant sur le trottoir proche de sa maison, il faisait à chacun des passants un grand signe de main en guise de salutation… Et sa joie était visible quand ce geste amical recevait une réponse identique. Elle se doublait d’un étonnement et d’un bonheur qui illuminait son visage quand quelqu’un prenait la « peine » de traverser la petite route pour aller lui serrer la main et échanger des mots simples…

Indemnisés parce que leur petite sœur handicapée était née…

Ce fut mon premier contact réel avec la Trisomie 21. J’en acquis la conviction – ou plutôt la confirmation concrète – que ces hommes et femmes n’étaient pas ce que l’on entendait alors dire d’eux, qu’ils recelaient de grandes richesses humaines… Comme l’a écrit quelqu’un : si l’on ne les verra sans doute jamais parmi les « élites » du monde, jamais non plus ils ne seront au nombre des tueurs en série, des djihadistes sanglants, des tortionnaires, des spoliateurs…

Par la suite, hormis quelques rencontres et lectures, je n’eus guère davantage d’occasions que la plupart d’être confronté au sort de ces personnes handicapées. Jusqu’à ce qu’un « fait divers » qui fit à l’époque brièvement débat dans les médias, ne me soulève le cœur : des parents, au nom de leurs deux enfants aînés, demandaient et obtenaient en justice une indemnisation de 12800 euros

« en réparation du préjudice moral et affectif » subi du fait de la naissance dans leur foyer d’une petite fille trisomique, dont le handicap n’avait pas été détecté par le gynécologue…

Quel accueil au sein de sa famille et de la société pour cette pauvre petite !

Quel message lui était adressé pour sa vie : « Remboursez… » !

« Un problème à éliminer ! »

« Trisomique, tu es mon frère. Ta vie vaut plus que tout l’or du monde », avais-je alors écrit en conclusion d’un court article.

Puis Pier-Yves est venu dans notre foyer. Enfant dont la Trisomie nous avait été annoncée au téléphone, un matin, plusieurs mois avant sa naissance, à la suite d’un « test de dépistage » ; communication aussi laconique qu’administrative, sans cœur et sans âme, assortie – en guise de consolation supposée rassurante – d’une proposition d’avortement immédiat ou ultérieur, possible jusqu’au 9e mois dans de tels cas : « Interruption médicale de grossesse » (IMG)… Aujourd’hui, plus de 96 % des enfants dont la Trisomie est diagnostiquée sont éliminés par avortement.

Le ton de la voix au téléphone trahissait le souhait de la décision à prendre et suggérait l’évidente solution, si simple, si normale, si « naturelle ». Il disait que nous n’allions quand même pas nous imposer une telle charge – «traîner un tel boulet » ; ni l’imposer à la société ! Culpabilisation rampante et pesante qui est si souvent mise – avec sous-entendus ou sans ambages – sur les épaules des parents brutalement confrontés à l’annonce de la « catastrophe ».

Sont-ils vraiment si différents ?…

Huit ans ont passé. Et que sont les quelques difficultés supplémentaires qu’il y a à accompagner dans la vie un enfant porteur de Trisomie (si on les compare à celles que l’on rencontre pour un autre enfant) au regard des joies vécues et partagées ? Quel sentiment d’indignation, de révolte, et « d’écœurement », quand on songe que la proposition de notre société pour lui était de l’éliminer avant sa naissance à une vie qui « ne valait pas la peine d’être vécue », et serait « un terrible fardeau à traîner pour le restant de nos jours ! »…

C’est vrai, nous accompagnons dans la vie un être humain différent… Un peu. Si peu, si l’on considère la diversité des êtres humains dits « normaux » !

Intellectuellement diminué – ou différent – certes. Mais qui, à l’école, apprend à lire, à écrire, à compter… à son rythme ; différent. Qui aime les jeux, la musique, les histoires et récits, l’humour… et plus que tout le partage, la convivialité. Qui recèle et exprime des trésors d’affection, de complicité… Qui aime découvrir, savoir, apprendre… Qui chante et siffle sa joie de vivre à longueur de journée ; et tant et plus encore…

Une vie qui ne vaut pas d’être vécue ? Une vie à empêcher ? Une vie à tuer dans le sein maternel ?

Que d’obscurantisme habite notre génération prétendument éclairée et savante !

Un regard obscurantiste…

Le premier médecin à avoir décrit « cliniquement » les caractéristiques de la Trisomie 21, le britannique John L. Down (d’où son nom en anglais : Down Syndrome) l’avait décrite « scientifiquement » en 1866 comme une dégénérescence de la race blanche vers la race jaune (jugée inférieure) en raison des traits communs aux visages des Trisomiques…

En France, ils étaient « les mongoliens », pour la même raison. « Parce que différents, ils devaient être méchants », comme le dit la chanson populaire…

Un siècle et demi plus tard, et plus de 50 ans après la découverte, par le Pr. Jérôme Lejeune, de l’origine génétique de ce handicap (la présence d’un troisième chromosome sur la paire chromosomique 21), le regard de la plupart sur les Trisomiques a un peu évolué. Il reste marqué par des peurs ignorantes et irraisonnées, des rumeurs, des « on-dit » et des croyances héritées des siècles passés.

Quand des médecins « noircissent le tableau », à dessein…

Mais le scandale n’est pas tant dans cette méconnaissance apeurée des foules que dans la confusion entretenue, parfois à dessein, par beaucoup dans la profession médicale. Et dans le « terrorisme » – au sens premier : la terreur suscitée et entretenue – développé pour pousser à l’avortement des fœtus porteurs de trisomie 21 :

le « tableau » est volontairement et grossièrement noirci. Et rien – ou si peu – n’est dit des extraordinaires progrès réalisés ces toutes dernières décennies dans l’accompagnement des Trisomiques : le plus que doublement de leur espérance de vie, l’amélioration de leur confort de vie, de leurs capacités et performances en tous domaines… l’on imagine ce que pourraient être ces progrès si une véritable politique de soutien et de développement était menée pour la recherche scientifique et médicale sur la T.21 !

Mais depuis des années, et plus que jamais désormais, le choix se porte sur son éradication par l’avortement : la mise en place du dépistage systématique, associée à une incitation accrue à choisir « l’IMG », devrait permettre de passer de 96 % à 100 % d’élimination, dit-on… (Un chiffre d’ailleurs fallacieux car il y aura toujours des erreurs de diagnostics, des « faux négatifs »).

Sous la dictature de la politique du chiffre…

Les raisons du choix de cette politique sont purement économiques. C’est une simple question de « rapport coût– bénéfice » : éliminer coûte moins cher que soigner, accompagner, et continuer à chercher un remède.

Qu’importe si la science médicale y perd son âme ; et la société une part de son humanité…

Le Dr Thévenot écrivait en mars 2005 dans le Journal du Syndicat des Gynécologues-obstétriciens : « Si c’était moi le petit trisomique, accepterais-je que d’autres choisissent pour moi que je ne doive pas vivre ? (…) Après l’IMG de l’enfant trisomique, les larmes sont dans les yeux de tous, des parents mais aussi dans les miens et ceux de la sage-femme… »

Etonnante et inquiétante société, qui réclame à cor et à cri l’égalité entre tous, le respect de l’autre, qui proclame le droit à la différence, clame son refus de l’exclusion et de la stigmatisation… mais installe l’élimination systématisée de ceux qui sont à ses yeux « hors normes » ; et ce pour raison financière !

Lui aussi est cette « créature si merveilleuse » du Psaume 139…

Pourtant, quiconque vit auprès d’un enfant – ou d’un adulte – porteur de Trisomie 21 sait que le Psaume 139 est aussi vrai pour lui que pour tout autre : « je te loue de ce que je suis une créature si merveilleuse… ». Mais les voici tous condamnés, seuls parmi les porteurs de défauts génétiques (seuls pour l’heure, car demain…) à n’avoir pas droit de vie. C’est un génocide, au sens littéral et premier du mot : une élimination organisée et fondée sur les gènes…

Le sort réservé aux Trisomiques est emblématique des « valeurs » que ce siècle se forge désormais, et annonciateur de ce qu’il sera demain…

Je me prends parfois à regarder le visage de notre petit garçon, et à le regarder vivre, en songeant avec incrédulité que notre société, mes contemporains, jugent ses semblables trop peu humains pour avoir droit à la vie – à sonder les raisons de cette déraison sans mesure et sans nom ! Et je pense à tous ces « trisomiques » qui travaillent et vivent – des vies discrètes, souvent cachées – comme tant de gens auxquels il suffit d’un petit « coup de main » nécessaire pour aller de l’avant dans la vie…

Et je pense à Eléonore, jeune trisomique médiatisée, capable de parler en public pour défendre ses semblables… à Emmanuel-Joseph, jeune trisomique violoniste – depuis l’âge de 6 ans – qui jouait à 16 ans avec l’orchestre symphonique national de Turquie lors d’un concert donné en 2012, entre autres… à Pierre-Henri, qui était accueilli parmi les chefs cuisiniers de l’Elysée voici quelques mois pour préparer au Président de la République un navarin…

Tous n’auront pas de tels parcours de vie – loin s’en faut – mais tous sont hommes et femmes à part entière !

« Trisomique, ta vie nous est précieuse ! »

« Je suis précieux parce que j’existe et non pour ce que je fais ou ce que j’ai fait – disait Emmanuel-Joseph – Non, je ne suis pas un fardeau pour la société et ma vie mérite d’être vécue avec respect et dignité. Je suis un avocat de la cause de la trisomie pour que les autres personnes puissent nous comprendre. Je suis une personne. Je suis Emmanuel-Joseph. »

Quelle personne de cœur et d’humanité peut regarder le visage d’un enfant porteur de Trisomie – ou de tout autre handicap – et lui dire qu’il ne veut plus le voir, lui et ses pareils ?

Non, face aux idéologies et théories (philosophiques ou économiques) de mort qui ouvrent une brèche où commencent déjà à s’engouffrer les torrents de l’eugénisme, face aux rêves fous d’une « race humaine » épurée par la sélection des « meilleurs », je redis, avec la parole et l’esprit de l’Evangile : Trisomique – ou toi porteur d’un quel- conque handicap – tu es mon frère en humanité. Tu es mon prochain. Ta vie est précieuse en soi. Ta vie nous est précieuse. Elle nous apprend la différence et l’humanité. Elle nous rappelle aussi la fragilité de l’homme ; le monde brisé par la chute ; et l’Espérance du Monde qui vient. Du « paradis perdu » enfin retrouvé. Du Règne éternel et sans ombre de notre Père Céleste en Jésus-Christ.

 

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