Et si c’était toi ?

Cette scène historique s’est réellement déroulée ainsi :

Un soir un bateau à vapeur remontait le fleuve Potomac.

Sur le pont, des passagers assis confortablement, devisaient paisiblement. Parmi eux se trouvait un chanteur très connu…

Et tout naturellement, une dame lui demanda d’avoir la gentillesse de chanter quelque chose…

« Chanter », lui répondit I. Sankey, celui dont la voix et l’authenticité touchaient profondément des foules, « je veux bien, mais je ne chante que des cantiques. »

« Qu’importe, chantez pour nous… » et comme tous les autres passagers acquiesçaient vigoureusement, sans plus se faire prier, I. Sankey s’exécuta. Sa voix pure, forte, s’éleva dans la douceur du crépuscule.

Soudain, de l’autre extrémité du bateau un homme accourut, se précipita sur le chanteur et l’interrompit :

« Avez-vous servi dans l’armée du nord ? »

« Oui, lui répondit Sankey, mais pourquoi ? »

« Attendez ! N’étiez-vous pas aux avant-postes la nuit de la pleine lune, en mai 1862 ? Essayez de vous souvenir… »

« Oui ! Je m’en souviens parfaitement ! »

« Moi aussi ! s’écria l’homme bouleversé, car ce fut la nuit la plus mémorable de ma vie… et de la vôtre ! Car comme vous, je servais, non pas avec vous, mais chez les Sudistes.

Cette nuit-là, j’étais en première ligne, quand à la lueur de la lune, je vis à quelque distance, un homme debout, un ennemi…

Ah ! me dis-je, celui-là ne m’échappera pas ! Et je couchai en joue ce jeune homme.

Il était éclairé par la lune, la tête baissée ; il ne pouvait me voir car j’étais dans l’ombre, agenouillé. J’avais le doigt sur la détente, lorsque, tout à coup, il leva la tête et se mit à chanter…

J’aime la musique, et comme cet ennemi avait une très belle voix, je me dis : « Laissons-le vivre encore un peu ! » Mais sa voix devint plus forte et j’entendis les paroles :

C’était un cantique : « … Je n’ai d’autre défense – Ô Christ ! que de m’abriter en toi … »

Alors je fus très ému ! C’était le can- tique préféré de ma mère… C’était comme si elle avait été, elle-même, à côté de moi, m’empêchant de tirer sur l’ennemi… »

Et l’homme conclut :

« Ce soir, monsieur, je reconnais votre voix… »

Les autres passagers étaient également bouleversés !

Sankey, incapable de prononcer une parole, s’avança vers l’étranger, et tous deux s’étreignirent en pleurant…

Ce récit absolument authentique, nous fait songer à notre propre vie… à celle des hommes et femmes que nous rencontrons…

« Et si c’était toi ? »

La question posée au début de cet éditorial, nous amène à penser à notre destin personnel :

Toi ? à la place de ce soldat nordiste qui allait mourir…

Toi ? ce Sudiste qui allait tirer et tuer… Bien évidemment la terrible absurdité et la cruauté de la plupart des guerres apparaîtra…

Ainsi que la destinée tragique, telle- ment triste de tant de jeunes et moins jeunes dans toutes sortes de conflits d’hier… ou d’aujourd’hui : fiancés, maris, pères… que de drames !

Mais au-delà, ne faut-il pas se laisser interpeller par ces souffrances que l’homme cause à l’homme… et aux enfants, aux femmes…

La «loi » du plus fort, ou du plus rusé, du plus cruel… la «loi de la jungle » – et pire que la jungle – car les humains font montre d’une sophistication ou d’une bassesse que les animaux ne manifestent pas…

Tuer, torturer… au nom d’une idéologie, qu’elle soit politique, religieuse, mercantile, hégémonique, impérialiste,

«révolutionnaire » ou autre, c’est tuer ! torturer…

Et même, lorsque les causes paraissent «nobles », « tuer un homme », ainsi que le disait S. Castellion, « ce n’est pas défendre une idée, c’est tuer un homme ! »

Mme Roland, qui fut l’une des révolutionnaires les plus zélées, épouse de l’un des leaders de la Révolution Française, pour s’être élevée contre les pires excès sanglants, fut arrêtée et guillotinée. En route comme tant d’autres vers l’échafaud, elle s’écria :

« Ô liberté, que de crimes on commet en ton nom ! »

Les choses ont-elles vraiment changé ?

Chaque jour dans ce monde, que de souffrances ! Que de crimes !

Guerres, guérillas, attentats, tueries, meurtres, tortures… un fleuve de sang et de souffrances continue de couler…

Mais, que de larmes, de vies brisées aussi, qui ont pour cause

la haine, qu’elle soit ethnique, politique, religieuse…,

l’orgueil, la volonté de dominer, d’abaisser… et ce entre peuples, tribus… comme au sein de sociétés plus «civilisées », ou au sein du couple ! Parfois on peut légitimement se demander si «les barbares ne sont pas de retour » et pas seulement dans «les banlieues », mais jusqu’au tréfonds des villes et des campagnes.

« Et si c’était toi ? »

On peut dans une vie, pourtant si courte, être, tour à tour, l’un et l’autre !

Il ne s’agit pas, certes, de s’abandonner à l’angélisme ! Ce monde est «dur », et, sans état d’âme, ni faiblesse, il faut empêcher de nuire ceux qui n’ont d’égard pour rien ni personne…

mais sans jamais laisser la haine, la violence aveugle, la cruauté… envahir nos cœurs, triompher et tout avilir.

L’homme n’est pas un animal, encore moins «une bête »!

L’homme est le frère de l’homme, quels que soient sa race, la couleur de sa peau, le lieu où il vit, pauvre ou riche…

C’est seulement quand il est fraternel que l’homme devient ce qu’il est appelé à devenir.

« Levez les yeux » disait le Christ… non pas pour ignorer les réalités de ce monde, mais pour les regarder à la lumière d’en haut.

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