Dans l’extrême nord-ouest de l’Inde, le pays s’étend, sauvage et inculte. Tout près de la frontière de l’Afghanistan, se trouvent une petite clinique de cinquante-cinq lits, un médecin anglais, son épouse indienne et quelques infirmières. Dans ce désert, c’est un havre de paix qui a une histoire tout à fait originale.

Un jour, un groupe d’hommes y amène un blessé aux yeux bandés qu’ils ont trouvé gisant au bord du chemin, de l’autre côté de la frontière.

C’est un Afghan, sans doute un nouveau cas de vengeance sanglante, si fréquente entre les différentes tribus de la région.

«Mon cœur crie vengeance»…

Dès qu’il a reçu les premiers soins, le patient s’agite dans son lit. En vain les infirmières tentent de le calmer. Sans cesse il essaye d’enlever le bandage qui cache ses yeux, gravement atteints.

«Docteur, s’écrie-t-il, redonne-moi la vue, je pourrai alors retrouver et tuer l’homme qui m’a mis dans cet état. Mon cœur crie vengeance. Lorsque je l’aurai tué, cela me sera égal d’être aveugle toute ma vie.»

Le Docteur Pennell, connaissant les mœurs de ces tribus, comprend cette soif de vengeance.

«Mon ami, répond-il à l’Afghan dans sa langue, tu as été admis dans une clinique chrétienne. Notre Seigneur Jésus-Christ, qui m’a ordonné de construire cette maison, veut que nous apprenions à pardonner à nos ennemis».

Et il lui parle du Fils de Dieu qui est venu sur la terre pour révéler aux hommes le chemin de l’amour…

«Docteur, interrompt le malade, ce sont de beaux mots, mais pour moi, ils ne signifient rien ; je veux me venger… me venger ! Mon ennemi a pris mes yeux, cela lui coûtera la vie. Il n’y a pas de puissance plus grande que celle de la vengeance. Je serais couvert de honte, dans ma tribu, si je ne me vengeais pas de mon ennemi».

C’est alors que le Docteur Pennell propose à ce blessé et à ceux qui le veulent d’écouter une histoire authentique qui s’est passée dans la région au siècle dernier, et qui raconte une manière d’agir bien différente.

«Il y a longtemps, le gouvernement anglais envoya, en qualité d’ambassadeur en Afghanistan, le capitaine Conolly.

Cependant, celui-ci ne parvint pas jusqu’à la capitale du pays, car sur sa route, dans une contrée déserte, il fut assailli par une tribu de ce peuple. Ils le saisirent, s’emparèrent de tous ses bagages et le lièrent. Il fut accusé d’espionnage, jeté en prison sans que l’on se souciât de son sort.

Dans la même prison un autre Anglais, le capitaine Stoddard, était enfermé. Lui aussi avait été attaqué sans raison, incarcéré et depuis, il vivait dans l’incertitude.

Une année de grande souffrance

A la grande joie des deux hommes, on leur permit de rester ensemble, et l’on autorisa aussi le capitaine Conolly à garder le livre de prière que sa sœur lui avait donné à son départ pour les Indes.

Ce livre de prière était leur seule consolation dans leur misère, et ses marges se remplirent non seulement de rapports sur leur existence et leurs souffrances, mais aussi d’analyses sur leurs sentiments et leur évolution.

Il devint ainsi un journal émouvant, seul témoin de toute une année de souffrance.

Les dernières inscriptions en marge du livre relatent comment, un jour, les deux hommes, après avoir été publiquement battus, reçurent l’ordre de creuser deux tombes, sans aucun doute les leurs. Puis ils disparurent sans laisser aucune trace.

Plus de vingt ans sans nouvelles

Vingt et une années s’écoulèrent, et tout espoir de les retrouver disparut.

Il arriva alors qu’un officier russe, flânant dans les rues de Boukara, en Asie Centrale, entra dans une boutique de brocanteur. Sous toutes sortes de marchandises, il trouva un livre de prière anglais avec de nombreuses annotations.

Sur la première page il remarqua une adresse. Pensant que ce livre pouvait avoir une valeur pour ces personnes, il l’acheta et l’expédia en Angleterre.

Ainsi après plus de vingt-deux ans, la sœur du capitaine Conolly reçut le livre dont elle avait fait cadeau à son frère. Elle se plongea dans la lecture des annotations et prit connaissance de la grande injustice dont avaient été victimes les deux hommes.

Avec une grande émotion, elle apprit toutes les souffrances endurées par son frère jusqu’à sa mort.

Une puissance plus forte que la haine

Que devait-elle faire ? Ce rapport incitait à l’action, à des représailles. Mais la sœur du capitaine Conolly était chrétienne, et au lieu de laisser la haine et la soif de vengeance envahir son cœur, elle décida, d’envoyer à la clinique de Patau tout l’argent qu’elle pouvait rassembler ou économiser, avec la recommandation suivante:

«Dans cette clinique, un lit doit toujours être disponible pour accueillir un Afghan malade ou blessé, qui doit être soigné gratuitement jusqu’à sa guérison. Je fais cela en souvenir de mon frère qui a tant souffert de la part des Afghans et qui est mort dans leur pays».

Dans la petite salle régnait un silence profond. Alors, le Docteur Pennell, posant sa main sur l’épaule de l’Afghan aveugle, lui dit: «Mon ami, tu es couché dans ce lit. Le souhait de la sœur du capitaine Conolly est que tu puisses guérir de tes blessures».

Le blessé qui s’était montré si rebelle devant le message du pardon de Jésus-Christ, sentit qu’il y avait là une puissance plus forte que la haine: la puissance de l’amour.

(Adapté du livre «Ils n’ont pas résisté» par Annie Dyck, Éd. le Phare, Florennes Belgique.)