bLes questions se bousculent dans la tête du jeune garçon néo-zélandais, en route pour l’orphelinat de l’église anglicane de Lower Hutt, près de Wellington: Pourquoi sa mère ne veut-elle pas de lui? Pourquoi doit-il venir en ce lieu? Qu’a-t-il fait de mal? Après des années vécues dans la misère, une page est tournée dans la vie de David Bussau. Son père a fini par abandonner femme et enfants, et la mère, seule, se voit contrainte de confier les deux derniers à l’orphelinat.

Jusqu’à ses quinze ans, l’existence de David sera ainsi rythmée par la vie austère de cet institut, des relations souvent conflictuelles entre les garçons, une scolarité tronquée dans un établissement où les enfants de l’orphelinat sont méprisés…

Mais, comme il l’expliquera plus tard dans sa biographie « Don’t Look Back » (Ne regarde pas en arrière), il est décidé à ne pas « se laisser marcher sur les pieds. »

Insatisfait malgré une immense fortune !

A l’âge de 15 ans, il doit quitter l’orphelinat, qui l’aide à trouver un premier travail et un logement. C’est alors que David va s’épanouir. Après des débuts modestes comme vendeur de « hot dogs » à la sortie du stade de football de la ville, il loue plusieurs stands en payant une redevance en fonction du résultat. La réussite est telle que bientôt il se trouve responsable de six stands et commence à bien gagner sa vie. Puis, il achète des parts dans une boutique de « fish and chips »… et finit par racheter toute la boutique!

Au sein du groupe de jeunes de l’église anglicane qu’il fréquente, il rencontre sa future épouse, Carol. Après leur mariage, il décide de se lancer dans la construction…

La famille s’installe alors en Australie, où il développe à fond cette nouvelle activité, créant des entreprises du bâtiment, en achetant d’autres. Rapidement, il a une centaine d’ouvriers sous ses ordres.

A 35 ans, l’ancien pensionnaire de l’orphelinat de Lower Hutt est multimillionnaire… Que peut-il souhaiter de plus? Or, malgré sa fortune, malgré sa vie bien remplie, il n’est pas satisfait. Il se pose de plus en plus de questions et finalement, il arrive à un point où il se demande si sa vie a un but, si elle est utile aux autres, ou s’il est tout simplement en train de construire son propre royaume.

Alors que ce sentiment d’insatisfaction le gagne de plus en plus, il apprend, le jour de Noël 1974, l’immense catastrophe qui vient de s’abattre sur la ville de Darwin, au nord de l’Australie: le cyclone « Tracy » y a détruit 80% des maisons, laissant quelque 20000 personnes sans abri.

Cette nouvelle provoque comme un déclic chez l’entrepreneur prospère. Sans hésiter, il met en vente les cinq entreprises dont il est responsable à l’époque, met sur pied une équipe d’ouvriers qualifiés et, accompagné de sa femme Carol et de ses deux filles, Natasha et Rachel, il part pour aider à reconstruire la ville dévastée. Avec l’argent de la vente des entreprises, il crée une fondation pour venir en aide aux personnes en difficulté et pour combattre la pauvreté.

A Bali, des villageois avaient tout perdu !

A partir de ce moment-là, David Bussau ne sera plus jamais le même. Ce n’est que le début d’une longue série d’actions qui durent encore aujourd’hui.

Deux ans plus tard, une autre catastrophe mobilise tous ses efforts: un tremblement de terre très puissant secoue l’île de Bali, en Indonésie. Un bon nombre de villages sont rasés.

Alors, la famille Bussau quitte l’Australie pour aller s’établir dans cette contrée ravagée. Après une marche à pied de 14 km depuis la route la plus proche, ils arrivent dans un village sans électricité, sans téléphone, et où il n’y a même pas de toilettes, ni d’eau courante. Ils ne parlent pas la langue des habitants. Les villageois ont tout perdu.

« Voir ce dénuement extrême, raconte-t-il, fut pour moi et mon épouse, nous qui avions notre maison encombrée d’objets inutiles, comme une mise à nu de notre propre existence, avec son égoïsme, ses ambitions personnelles… Les pauvres furent ainsi pour moi l’instrument qui mit ma vie sur de nouveaux rails, pour un nouveau voyage… »

Pendant quelque deux années, il s’engage dans un travail titanesque de reconstruction de villages, de création d’infrastructures (une clinique, une école, une église…).

Et c’est là qu’il se rend compte que le problème de la pauvreté est souvent une question de dettes, d’emprunts que des gens ont contractés dans l’urgence auprès d’usuriers sans scrupules, et qu’ils sont ensuite incapables de rembourser. Beaucoup sont alors contraints « d’hypothéquer » même leurs propres enfants qui, arrivés à l’âge « productif », sont enlevés à la famille et doivent aller travailler pour les prêteurs à gages.

« Est-ce que ce n’est pas là le nœud du problème? » se demande-t-il, et aussitôt germe dans sa tête l’idée d’accorder à ces gens de petits prêts à faible taux d’intérêt pour les libérer des usuriers et dans le but de leur permettre de créer leur propre outil de travail.

L’engagement d’une vie au service
des plus démunis…

La rencontre avec Ketut, un planteur de riz, lui fournit l’occasion de « tester » son idée: « Moi et ma femme, explique ce paysan, nous attendons notre quatrième enfant. Mais alors que le bébé est toujours dans le ventre de sa mère, il est déjà héritier de quatre générations de dettes. » Il ne sait pas quoi faire et demande de l’aide.

« Qu’est-ce que vous savez faire…? demande alors D. Bussau.

– Ma femme sait très bien coudre.

Alors, je vais vous prêter un peu d’argent, 100 $. Avec cette somme, vous allez acheter une machine à coudre, votre épouse va confectionner des vêtements que vous irez vendre sur le marché. Je prendrai très peu d’intérêts, et lorsque vous commencerez à gagner de l’argent, vous me rembourserez. »

Pour Ketut et sa famille, c’est la fin de la pauvreté. La réussite est telle qu’ils peuvent même embaucher plusieurs personnes.

« Et, conclut l’homme d’affaires, j’étais très conscient que si je lui avais simplement fait don de cette somme d’argent, tout le monde dans le village aurait aussi voulu 100$… Mais qu’auraient-ils fait de l’argent? Nous souhaitions réellement que cet homme et sa famille puissent rembourser la petite somme initiale. C’était une question de dignité… »

Pour D. Bussau, c’est l’engagement d’une vie au service des plus démunis, non pas pour apporter une aide occasionnelle qui serait vite engloutie sans laisser de traces, mais pour créer durablement de meilleures conditions de vie, en encourageant les gens à entreprendre, en les formant, les conseillant, et en leur accordant un petit prêt pour démarrer.

C’est dans ce but qu’il crée, avec un autre homme d’affaires, « Opportunity International », un organisme qui travaille aujourd’hui dans plusieurs dizaines de pays et qui a déjà permis à des millions de personnes de sortir définitivement de la pauvreté.

Même des pays très fermés, comme la Corée du Nord, ont ouvert leurs portes à l’entrepreneur australien et à ses collaborateurs.

Lorsque, aujourd’hui, David Bussau jette un regard rétrospectif sur sa vie, il évoque très peu son enfance à l’orphelinat sinon pour dire sa conviction que les conditions difficiles de ses premières années de vie, loin d’avoir été un handicap, ont forgé son caractère pour le rendre apte au travail qu’il accomplit maintenant.

« Aujourd’hui, dit-il, je poursuis cette tâche mais je ne sais pas quel sera le nouveau pas… La seule certitude que j’ai, c’est que je veux être là, disponible, pour répondre à ce que l’on demande de moi… »