«Les centres-villes doivent devenir Grande Cause Nationale»! C’est par cet appel, pouvant paraître grandiloquent, que P. Vignal, président de l’association Centre-Ville en Mouvement (CVM), concluait la conférence de presse, organisée le 7 septembre 2017 à Paris.
Pourquoi un tel discours ? Tout simplement car la situation de nombre de «cœurs de cité» en France est aujourd’hui plus qu’alarmante !
Mais aussi parce qu’il importe de mobiliser tous et chacun en particulier, depuis l’État jusqu’au simple citoyen, en passant bien sûr par les élus, pour que soit enrayée cette dévitalisation qui gagne et fait mourir villes et bourgs. Pour qu’enfin nos centres-villes redeviennent des cœurs qui battent !
«La peinture est défraîchie, mais le mot est encore lisible : alimentation. On dirait un décor de théâtre pendu au-dessus de la vitrine de ce vieil établissement vacant. En face, un salon de tatouage. Personne n’y entre ni n’en sort. La rue est déserte. Continuez votre chemin et vous découvrirez d’autres devantures closes, çà et là dans le centre historique de cette ville dominée par l’imposante cathédrale en briques du XIIIe siècle, l’un des joyaux de France. Les boutiques pour touristes et les grandes chaînes de l’habillement sont ouvertes, mais les épiceries, les cafés et les boucheries, tous ces établissements qui au cours des siècles animaient le cœur des villes comme celle-ci, ont disparu.
«La France perd, une à une, ses villes…»
Dans un pays comme la France, qui foisonne de beauté et dont les traditions semblent immuables, il n’est pas aisé de prendre la mesure des changements, voire de la décomposition en cours. Elle saute pourtant aux yeux, à Albi comme dans des centaines d’autres communes. La France perd, une à une, ses villes de province de taille moyenne — ces pôles de vie denses et raffinés, profondément ancrés dans le milieu rural, où les juges rendaient justice, où Balzac situait ses romans, où les préfets émettaient des ordres et où les citoyens pouvaient acheter une cinquantaine de fromages différents. (…)».
Cet article, paru il y a un peu plus d’un an, dans le New York Times, sous la plume d’Adam Nossiter, fit du bruit Outre-Atlantique, mais aussi en France. Il eut l’effet d’un électrochoc auprès de nombre d’acteurs du développement des territoires. Car, il faut bien l’avouer, le tableau dépeint par ce reportage, pourtant effectué par un amoureux de la France, de sa culture et de ses terroirs, était pitoyable mais réaliste !
Longtemps à la fois cœur et poumon, les centres-villes et leurs commerces de «proximité» furent en effet la vitrine de bien des villes moyennes, symbole et marqueur d’un art de vivre, lieu à la fois de commerce et de convivialité !
Le mirage du développement périphérique
Mais au cours des années 80-90, cette réalité fut peu à peu mise à mal, alors que, dans le même temps, se développaient, en périphérie, des zones et centres commerciaux plus accessibles, plus grands, plus «adaptés», semblait-il, à la nouvelle donne consumériste. Là était l’avenir, pensaient beaucoup…
Pourtant, au tournant des années 2000, pour qui voulait le voir, les limites évidentes d’un tel modèle de développement commercial univoque, et ses conséquences néfastes, tant en périphérie des villes (congestion, déshumanisation) qu’en leur centre (désertification et dégradation), commencèrent à apparaître.
Mais rares furent alors les décideurs locaux qui réellement prirent simplement conscience des nouveaux enjeux de la revitalisation de leur «cœur de cité», et encore plus rares ceux qui voulurent prendre le problème à bras le corps ! «Le nombre de mètres carrés commerciaux augmente globalement puisque de nouveaux centres et commerces s’ouvrent en périphérie», entendait-on ! Et la situation ne cessa de s’aggraver, notamment dans les villes moyennes où les taux de vacance commerciale atteignirent des records !
Un commerce sur trois est vide !
Ainsi en 2016, puis 2017, plusieurs études révélaient qu’en 5 ans, la vacance commerciale dans le cœur des villes de plus de 25000 habitants, avait été multipliée par 2, atteignant en moyenne 11,3% ! Saint-Brieuc s’illustrant comme une des villes les plus touchées en France (6e!), avec un taux compris, selon les critères retenus, entre 18,9% et 32,1% ! Un commerce sur trois étant vide! Dès lors, le sujet fit la une de médias qui semblaient découvrir le problème…
Pourtant, depuis des années, certains élus ou spécialistes tiraient la sonnette d’alarme! Ainsi, les fondateurs et chevilles ouvrières de la Journée du Commerce de Proximité et du Centre-ville, H.Lemainque et P. Chavigny, martelaient-ils depuis 10ans: «Il faut absolument que les élus réagissent, sinon le désintérêt pour les centres-villes va s’amplifier ! Le fossé se creuse entre les villes qui ont su réagir et les autres! Il faut repenser le centre-ville, lui redonner son rôle moteur, son pouvoir d’attraction». Car cela est possible ! En témoignent les résultats obtenus par des villes, telles Saint-Lô, Lons-le-Saulnier ou Bayeux, qui aujourd’hui font mieux que tirer leur épingle du jeu ! Ces «nouveaux» cœurs de ville battent, drainent et irriguent leur territoire !
«C’est d’abord de la responsabilité des élus !»
Ailleurs, des cœurs, qui n’avaient de cesse de se rabougrir et de donner l’image d’un organe de plus en plus anémié, incarnent désormais le dynamisme et la vie de la cité. Des enseignes attractives ont remplacé les vitrines défraîchies, abandonnées, voire insalubres.
Mais ce nouveau visage, cette révolution ne s’est pas faite toute seule, selon un certain laisser-faire, sans un véritable volontarisme et un plan d’action de long terme associant les nombreux acteurs concernés. Selon une récente étude de l’institut CSA, les Français considèrent que la dynamisation du centre-ville est d’abord de la responsabilité des maires et élus municipaux (91%), puis des associations de commerçants (62%). «Le maire qui ne souhaite pas que son centre-ville ressemble à un mouroir… doit avoir une vision globale», insiste B. Reynès, vice-président de CVM.
Ainsi désormais, de plus en plus de maires de villes-centres commencent à penser l’ensemble des politiques de revitalisation comme un tout, à l’échelle du bassin de vie: commerces, habitat, circulation, etc., et ce, d’autant que des outils, tel le Scot, s’y prêtent particulièrement bien !
Il est évident que l’une des causes de la situation actuelle est le manque de clairvoyance, de stratégie, voire l’anarchie, en matière de politique commerciale en périphérie, qui a longtemps prévalu, ouvrant la porte à un antagonisme cœur-périphérie légitime. Désormais, place est faite à la complémentarité !
La clé: une attractivité commerciale complémentaire
Ne pas occulter l’intérêt majeur pour une ville, d’avoir, en sa périphérie, des grandes enseignes et commerces spécialisés, lui permettant d’accroître la zone de chalandise, est très important. Mais tout aussi important est de réussir à drainer vers le centre une large partie de ces clients qui autrement n’y seraient pas venus.
«On a su faire venir les gens en périphérie: il faut apprendre à les faire revenir en centre-ville», tel est désormais le leitmotiv de CVM. Et la première règle à mettre en œuvre est d’imposer que seules des offres complémentaires et non semblables se développent de part et d’autre, chacun ayant sa vocation spécifique avec ses «commerces de destination», pour lesquels les clients sont prêts à se déplacer !
L’attractivité de l’offre commerciale (diversité, complémentarité et qualité des commerces) est certes une donnée essentielle, mais aujourd’hui, il est d’autres attentes auxquelles les centres-villes se doivent de répondre s’ils veulent redevenir des cœurs qui battent.
La récente enquête CSA révélait qu’aux yeux des Français, le renouveau des cœurs des villes passait prioritairement par l’amélioration de l’accessibilité, notamment par l’adaptation du stationnement (73%)! Viennent ensuite une offre de produits de qualité et des commerces et artisans de proximité (49%), privilégiant le contact humain (convivialité et conseil), ayant des heures d’ouverture étendues (45%), sans négliger l’animation et l’organisation d’événements (marchés à thème, quinzaine commerciale…).
Mais il est d’autres facteurs-clés qui s’avèrent prépondérants pour nos concitoyens dans le pouvoir d’attraction des centres-villes. Ces facteurs peuvent être regroupés sous la dénomination «aménités urbaines».
Idéal pour flâner ou faire ses courses…
Ces aménités se déclinent sous des formes très variées et complémentaires: elles passent, d’abord, par la nécessité de faire retrouver au centre-ville sa vocation de lieu d’habitation (réhabilitation et rénovation urbaines), puis celle de lieu de vie attrayant, avec des devantures engageantes, des voiries et trottoirs adaptés, des zones piétonnières paisibles, des petites places de caractère, le tout dans un «espace» où le patrimoine est mis en valeur ! Sans oublier tous ces «petits» riens (mobilier urbain, embellissements végétaux, propreté, etc.) qui seront essentiels au plaisir de faire ses courses ou de flâner dans un cadre «de chalandise» agréable…
Oui, désormais un cœur de cité se doit d’être pensé comme un lieu de destination à lui tout seul ! Lieu où l’on aime à se retrouver, lieu autant de promenade que de convivialité et qui offre aussi… des opportunités d’achats et de restauration.
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