«Plus l’emballage d’un produit alimentaire porte des allégations santé, nutritionnelles ou autres, plus il faut s’en méfier»… Ce propos de Pierre Chandon, spécialiste du marketing à l’INSEAD, est sans appel et somme toute paradoxal… Mais totalement corroboré par Irène Margaritis, chef de l’évaluation sur la nutrition et les risques nutritionnels à l’ANSES : «On fait passer pour de la santé publique ce qui est, en réalité, du marketing» !

En 20 ans, le nombre de produits alimentaires mettant en avant des bienfaits supposés ou suggérés sur la santé a été multiplié par six. Un produit sur cinq fait désormais une telle «promesse» ! «Riche en ceci, bon pour cela, source de ceci ou faible en cela, 100% naturel ou réduisant tel risque…», le consommateur ne sait plus où donner de la tête… mais est hélas bien souvent abusé… tant les rayons de nos magasins sont devenus le royaume des «étiquettes trompeuses».

Manifestement, le temps de l’insouciance lors de l’achat de produits alimentaires est bel et bien révolu… Une récente enquête OpinionWay révèle ainsi que 83% des Français affirment être soucieux de s’informer sur les produits alimentaires qu’ils achètent : 64% en lisant les informations sur les emballages et 17% en utilisant des applications mobiles comme Yuka ou Mylabel, Y’a quoi dedans… 

Allégations certifiées UE… en théorie

Les consommateurs veulent des aliments sains et être rassurés ou confortés dans le choix des produits qu’ils achètent? Qu’à cela ne tienne! Les industriels répondent à leurs attentes et multiplient les allégations, vantant les mérites de la composition nutritionnelle de leurs produits! 

Une bonne nouvelle pour la santé publique, me direz-vous ? En théorie, oui… et ce d’autant qu’en 2006, face à ce qui semblait déjà, depuis quelques années, une tendance parfois abusive, le Parlement Européen avait adopté un règlement se voulant déterminant pour séparer le bon grain de l’ivraie, en termes d’allégations nutritionnelles et santé. Désormais, le consommateur allait être «protégé des fausses informations», car seules les allégations prouvées scientifiquement auraient le droit de figurer sur les emballages ! Exit les fantaisistes «bon pour le cœur», «régénérateur de santé» et autres «minceur» ou «joie de vivre» !

Ainsi, depuis cette date, toute entreprise voulant se prévaloir des bénéfices de la consommation de ses produits sur la santé doit déposer pour expertise auprès de l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA), basée à Parme, les preuves scientifiques dûment «bibliographiées» de ce qu’elle compte mettre en avant sur ses emballages ! L’autorisation dépendra de la solidité scientifique du dossier! Parfaitement rassurant, sauf que… 

Une enquête « Que choisir »

Comme l’explique Laure Séguy, auteur d’une thèse «De la nutrition à l’étiquetage nutritionnel», «les allégations sont en principe interdites, sauf si elles sont validées par les autorités européennes. Jusqu’en 2011, l’EFSA a ainsi validé 222 demandes d’autorisation sur les 4600 déposées. Sauf qu’il n’y a pas assez de moyens ni de personnel, comparé au nombre de demandes déposées. Croulant sous les dossiers, ils ne peuvent pas faire d’enquête.» 

Alors quid ? Sur le site de la Commission, on peut lire que «toutes les allégations qui sont en suspens ou à l’examen seront interdites». Toutefois, le règlement de 2006 vient contrecarrer cette affirmation, celui-ci prévoyant que ces allégations puissent être utilisées, même mises en suspens. Autrement dit, sans interdiction expressément formulée, les marques sont autorisées à utiliser les allégations santé qu’elles ont choisi d’afficher sur leurs produits !

Et si donc, à ce jour, l’EFSA a rejeté 87% des demandes d’allégations santé qu’elle a examinées (notamment celles concernant le renforcement du système immunitaire ou de la flore intestinale, etc.), la liste des dossiers en attente est longue… offrant une opportunité que certains n’hésitent pas à exploiter, au moins à court terme!

Mais le problème le plus tangible est aussi, et peut-être surtout, ailleurs, comme l’a notamment confirmé dernièrement une sérieuse enquête de l’association «Que Choisir».

Flou artistique et « cache-misère »

Car, désormais, si un grand nombre d’allégations figurant sur les emballages sont factuellement vraies, «riche en calcium, en antioxydants, en fer et autres magnésium», les associer – explicitement ou non – sur l’emballage au bon fonctionnement du corps n’est pas faux, mais, dans la réalité, la manière de les consommer les rend souvent trompeuses ! Autrement dit, il faudrait en consommer des quantités quasi industrielles pour bénéficier d’un réel effet… Cette consommation excessive entraînerait par ailleurs bien d’autres impacts négatifs sur la  santé !

Le législateur européen n’avait-il pas anticipé une telle dérive potentielle ? Oui et non… Le problème étant les termes trop vagues choisis pour qualifier tant la consommation nécessaire, «quantité raisonnable», que la quantité de nutriments bénéfiques nécessaires, «dose significative», pour engendrer un quelconque effet sur la santé ! «Flou artistique» que nombre d’industriels n’ont pas tardé à exploiter… dans une interprétation très large du texte !

Et, comme dans la réalité, presque tous les micronutriments peuvent être considérés comme bénéfiques, pourquoi s’en priver… en mettant en avant ce qui les arrange ! 

Comme le souligne Irène Margaritis, certes les industriels ne poussent pas le bouchon jusqu’à vanter la teneur en sodium dans leurs produits (le sel étant par ailleurs un véritable problème, puisque présent en quantité excessive, utilisé comme «cache-misère» gustatif dans bien des cas), mais, en revanche, d’autres nutriments sont souvent mis en avant, alors même que la grande majorité de nos compatriotes en ingèrent des quantités souvent supérieures à leurs besoins physiologiques !

72% des céréales du petit-déjeuner

Dès lors, l’imagination marketing n’ayant pas de bornes, pourquoi ne pas communiquer sur des produits «sur-vitaminés», enrichis artificiellement en micronutriments, minéraux,… à «images positives», pour vendre une bonne santé à portée d’achat et de dégustation. Qu’importe si, in fine, les bénéfices supposés se transforment en effets délétères…

Or cela est loin d’être une vue de l’esprit… notamment, car désormais beaucoup de produits déséquilibrés (teneur en matières grasses, sucre, sel… excessive) n’hésitent plus à communiquer sur une teneur en micronutriments, a priori bénéfiques, pour se présenter comme sains…

Un rapport de 2020, de la Commission Européenne révélait qu’en France, cela concernait  notamment 72% des céréales du petit-déjeuner, 85% des jus et boissons aux fruits, 93% des gâteaux… bien prisés des enfants ! 

Certains sont passés maîtres dans l’art de jouer avec les allégations nutritionnelles et/ou santé.

Nutriscore et indicateurs « réducteurs »…

Alors, que penser de cette inflation d’informations «qui nous veulent du bien» ? Une chose est sûre: aujourd’hui, un concitoyen normal est en moyenne sollicité par quelque 1200 signaux de marques, labels, allégations de toutes sortes, chaque jour! Comme dit l’adage : «trop d’information tue l’information» ! Il faut dire qu’en la matière, l’Etat n’arrange pas toujours les choses. En multipliant les «informations obligatoires», pas toujours pertinentes, relativement infantilisantes et souvent biaisées, car omettant de traiter la question dans sa globalité ! Bref, les campagnes marketing, d’où qu’elles viennent, ne renforcent pas forcément la lisibilité et encore moins la crédibilité des produits ou comportements vertueux qu’elles veulent promouvoir…

Les deux tiers des Français sont aujourd’hui insatisfaits de l’information dont ils disposent sur les produits alimentaires qu’ils achètent! 88% recherchant d’abord une information crédible sur la qualité du produit, puis l’origine (notamment le made in France) et l’effet potentiel sur la santé ! 

Serge Hercberg, épidémiologiste, désormais président du Programme National Nutrition Santé, dont les travaux ont été à l’origine du Nutriscore, voit, en ce système d’étiquetage, la solution, afin de permettre aux consommateurs de faire leurs achats, en étant «éclairés» et en toute connaissance ! 

D’autres préfèrent le développement des applications Yuka, OpenFoodFacts, Siga, censées mieux éclairer l’acheteur, car croisant plus de critères, étant de facto une aide à la décision plus pertinente. 

«Mangez de tout ce qui se vend au marché»

Reste que, comme toute personne de bon sens peut en convenir, la question qui se pose est : quels sont la crédibilité, la rigueur, les intérêts ou plutôt le désintérêt marchands… et les objectifs réels de telles initiatives ? Tout indicateur est réducteur… Que dire d’un code couleur alimentaire ?

Nombre de ces initiatives sont sûrement louables… Mais rien ne vaut de rester adulte dans ses choix de consommation: limiter l’achat de produits sur-transformés, au profit de produits entiers, acheter en direct auprès de producteurs soucieux de la qualité de leur production et capables d’en parler, et comme dit l’adage «manger de tout ce qui se vend au marché»… Voilà bien sûrement le meilleur gage d’équilibre alimentaire et de bonne santé !