En ce milieu des années 1950, Gil Bernard est en train de devenir une des étoiles montantes du music-hall en France. Il fait partie du « clan » de Charles Aznavour et commence à être connu. Il partage souvent la scène avec Jacques Brel. Mais malgré le succès grisant, Gil garde au fond de son cœur un vide profond. Il interroge souvent les artistes qu’il côtoie : « Est-ce que vous avez la paix ? ». Mais personne ne lui apporte de réponse satisfaisante. Jacques Brel lui avait confié un jour : « Avec l’argent, on peut se payer beaucoup de choses, mais cette paix-là ne peut s’acquérir à prix d’argent… »

Gil Bernard était né au Maroc en 1932, dans une famille juive. Si son grand-père était rabbin, son père n’avait qu’une foi de tradition. Gil a tout de même été élevé dans la religion de ses pères, apprenant à connaître la Thora et à craindre l’éternel. Sa mère avait beaucoup souffert dans sa jeunesse et elle aimait Dieu. Elle parlait parfois à son fils du Messie qui viendrait amener la paix sur la terre, et lui disait aussi son espérance qu’un jour, ils rentreraient au « pays », alors que l’Etat d’Israël n’existait pas encore.

Enfant, Gil avait souffert en tant que juif, maltraité parfois par des camarades qui fréquentaient assidûment la messe. Il ne comprenait pas cette violence aveugle. A 13 ans, il fait sa bar-mitsvah et le rabbin qui officie lui donne un verset à méditer : « Jeune homme, réjouis-toi pendant ton adolescence, livre ton cœur à la joie, marche dans les voies de ton cœur et selon les regards de tes yeux » (Ecclésiaste, ch.11, v.9). Comme il le dira plus tard, il regrette que le rabbin n’ait pas plus insisté sur la fin du verset : « mais sache que pour tout cela, Dieu te fera venir en jugement ».

Malgré l’opposition de son père, il devient chanteur à 17 ans…

En grandissant, sa passion pour le chant s’affirme. « A 6 ans, j’ai gagné mon premier radio-crochet à une kermesse catholique », explique-t-il. Le prix : un canard, qui a permis à sa famille de manger pendant deux jours, car son père percepteur d’impôts au Maroc, avait perdu son emploi à cause des lois de Pétain…

A 17 ans, il se lance dans le music-hall pour tenter de devenir une vedette de la chanson. Son père, qui aurait préféré qu’il devienne médecin, lui coupe les vivres. Ce sont des années très difficiles, où il connaît la faim : « je pouvais passer 48 heures sans manger, car il n’y avait ni Caritas, ni Restos du cœur… » Mais à force de travail, son talent commence à être connu, Charles Aznavour le prend sous son aile et il fait des tournées avec Jacques Brel.

« Dans ce milieu, j’ai mis Dieu de côté, c’est la musique qui est devenue mon dieu ». Seulement, le succès ne le rend pas heureux et cette question le taraude : « comment trouver la paix ? ».

Il essaie de lire différents textes religieux, achète le Coran… Mais la violence envers les Juifs et les chrétiens contenue dans ce livre l’effraie. De cette recherche métaphysique, il s’ouvre à son père et celui-ci a une réaction qui l’étonne : il sort d’un tiroir un Nouveau Testament qui lui avait été donné longtemps auparavant. Gil commence à lire les évangiles et la paix et l’amour qui émanent des récits de la vie de Jésus le touchent profondément. Mais il achoppe sur un point : Jésus se dit le fils de Dieu et c’est pour lui, juif, une impossibilité, voire un blasphème.

Sur un tract, ces mots l’interpellent : « Rendez hommage au Fils »

C’est alors qu’un jour, un ami avec qui il fréquentait les casinos lui remet un tract. C’est une invitation à une conférence intitulée « Jésus, les Juifs et le Messie ». En bas du tract figure un verset du Psaume 2 : « Rendez hommage au fils » (v.12). Ce verset l’interpelle immédiatement. Il ne se rend pas à la conférence, mais rentre chez lui pour vérifier si dans sa Bible hébraïque, celle de sa bar-mitsvah, il y a bien ce mot « fils ». Il relit l’ensemble de ce psaume, où Dieu publie un décret : « Tu es mon fils, c’est moi qui t’ai engendré aujourd’hui. Demande-moi et je te donnerai les nations (les Goïms) en héritage ». Deux fois, ce mot « fils » est mentionné, et il comprend aussi que Dieu n’est pas seulement pour son peuple élu, Israël, mais pour toutes les nations.

« Je suis tombé à genoux, j’ai crié à Dieu du plus profond de mon cœur : Mon Dieu, révèle-moi la vérité, fais-moi connaître le nom de ton fils »…

A ce moment-là, son couple était au bord de la rupture. En effet, passionné par sa carrière de chanteur, il négligeait de plus en plus son épouse, si bien qu’ils s’étaient mis d’accord pour se séparer. Tous deux se mettent à lire ensemble le Nouveau Testament, éclairés par les conseils d’un vieil homme juif qui avait reconnu Jésus comme son Sauveur. Ce cheminement dure trois ans, durant lesquels il continue sa vie d’artiste. « C’est ma femme qui s’est convertie la première et son changement, son rayonnement me touchaient beaucoup ».

Une nuit à Dakar, le choix décisif de sa vie…

Lors d’une tournée à Dakar, au Sénégal, c’est là qu’il va se décider. Un soir, il accompagne un ami dans un tripot. Cet ami était lié par les jeux de cartes et Gil y va dans l’intention de le freiner et de l’aider à arrêter de jouer.

Après avoir perdu de fortes sommes, son ami lui demande de continuer à jouer à sa place : «Tu vas me porter chance ! ». Mais Gil perd tout et rentre dans sa chambre sans argent… Là, il entend la voix du Seigneur l’interpeller : « Alors, où en es-tu ? » Il comprend qu’il doit rompre son contrat maintenant, quitter le Sénégal, sinon, il est perdu.

Comment rompre ses contrats ?

Dès le lendemain, il va voir son impresario et lui annonce qu’il rentre chez lui. « Tu es devenu fou », lui lance celui-ci. « J’ai décidé de suivre Jésus-Christ ». « Tu es encore plus dingue que je ne le croyais ». « Peut-être, mais je ne veux pas risquer de perdre mon foyer, tout ce que m’a donné le Christ ». Alors l’impresario baisse la tête car lui avait déjà brisé son foyer. Mais se pose un problème considérable: en annulant la tournée prévue à Madagascar, Gil doit rembourser le montant du cachet qui lui avait été promis, soit une somme considérable. Peu importe, il est prêt à payer tout pour revenir auprès de son épouse. Mais juste à ce moment, Madagascar prend son indépendance, ce qui fait que le contrat est rompu pour cas de force majeure. Il n’a donc pas eu à rembourser les sommes dues.

Il annonce à son épouse que désormais, c’est le Christ qu’il veut suivre. Aussitôt, des portes se sont fermées, il est incompris de la part de sa famille juive. Les appels des producteurs, de la télévision se font très rares… mais Gil a enfin trouvé la paix qu’il cherchait. Depuis, il se consacre à témoigner par le chant de sa rencontre avec Jésus qui a tout changé dans sa vie, avec une attention toute particulière pour les plus pauvres, pour les détenus. Il est aujourd’hui âgé de 91 ans, et sa détermination reste intacte : « C’est la plus belle des choses que de faire connaître Jésus-Christ, le seul nom qui sauve. Tout le reste, c’est de la littérature… », conclut-il. »

O.A.