Sur la neige glacée, étincelante, du nord de l’Alaska, le traîneau glissait à bonne allure. Les seize chiens attelés étaient prêts à aller jusqu’au bout de leurs forces, même à dépasser leurs limites. Debout sur les patins, ou poussant alternativement du pied gauche et du pied droit pour aider les chiens dans les montées souvent raides, Lance Mackey, le « musher », le conducteur de cet attelage, encourageait ses bêtes, les dirigeant d’une voix sûre, pour éviter les nombreux pièges pas toujours visibles à l’œil nu. Dans cette course extrêmement éprouvante, rien ne devait être laissé au hasard.
C’était le départ, en 2001, de la célèbre course de chiens de traîneau de l’Iditarod, qui chaque année, au début du mois de mars, se déroule entre Anchorage et la ville de Nome, un périple de 1757 km à travers les étendues glacées et par endroits très montagneuses du nord de l’Alaska. Les équipages mettent entre 9 et 15 jours pour réaliser ce parcours, avançant nuit et jour, ne s’octroyant que quelques heures de temps en temps pour dormir un peu, à l’image des marins qui, en solitaire, font le tour du monde à la voile, habitués à de très courts moments de sommeil. Les « mushers » utilisent ces courtes pauses surtout pour soigner les chiens, sollicités à l’extrême.
En souvenir d’un exploit de 1925 !
L’Iditarod commémore un exploit qui remonte à 1925. Une épidémie de diphtérie avait frappé la ville de Nome. Alors que tout envoi de sérum par bateau ou par avion avait été rendu impossible par le blizzard, un relais de chiens de traîneau avait réussi, dans des conditions terribles, à apporter le médicament indispensable pour sauver la population.
Dick Mackey, le père de Lance, fut, en 1973, l’un des initiateurs de cette épreuve sportive qui compte parmi les plus exigeantes du monde. Il la remporta lui-même en 1978 dans un sprint mémorable avec une seconde d’avance sur le deuxième, le plus petit écart jamais relevé. Cinq ans plus tard, ce fut Rick, le frère aîné de Lance qui décrocha la victoire. La mère de Lance figurait aussi parmi les grands des courses de chiens de traîneau, se plaçant quatrième du championnat nord-américain de la discipline en 1970, alors qu’elle était enceinte de Lance.
Lance lui-même, en tant que junior, avait montré de grandes qualités, notamment pour sa manière de dresser et de conduire ses chiens, et en toute logique, il devait au moins égaler les autres membres de sa famille. Mais dans l’adolescence, il avait connu des difficultés et, pendant tout un temps, abandonné le sport pour s’adonner à la pêche. Il avait même, à un moment donné, sombré dans l’alcoolisme et les drogues.
Lorsqu’il voulut, plus tard, revenir aux courses de traîneau, une autre épreuve s’abattit soudain sur ce jeune homme. Alors qu’il avait patiemment reconstitué un élevage de chiens et s’était préparé pour une première participation à l’Iditarod en 2001, il commença à sentir une douleur inquiétante dans la mâchoire, irradiant jusque dans la nuque. Il prit quand même le départ comme prévu, pensant qu’il s’agissait simplement d’un problème dentaire. Pendant la course, pourtant, la douleur devint tellement intense, que c’est uniquement grâce à un courage remarquable qu’il réussit à aller jusqu’au bout. Il termina « seulement » 36e, mais il avait remporté une grande victoire personnelle.
C’est peu après cette course que le verdict tomba lors d’un examen par un spécialiste: Lance était atteint d’un cancer à la mâchoire et à la nuque.
Etait-ce alors la fin de tous ses rêves ?
Peu de chances de survivre…
Beaucoup le pensaient… Les médecins lui donnaient peu de chances de survivre. Après une grosse opération, où on lui enleva l’artère carotide, les glandes salivaires, des tissus du visage et de la nuque, et une grande partie d’un muscle important qui soutenait son bras droit, Lance connut une convalescence difficile, ponctuée de traitements lourds par radiation et chimiothérapie. Affaibli et diminué physiquement, intubé pendant longtemps car dans l’incapacité de manger normalement, il n’avait même pas le droit de s’occuper de ses chiens par crainte d’être blessé.
Mais le jeune homme décida de se battre, et personne ne pouvait lui interdire de continuer à entraîner ses chiens.
L’année suivante, en 2002, il s’inscrivit à nouveau pour l’Iditarod, bien qu’encore intubé et affaibli. Soutenu par une volonté de fer et aussi par un public émerveillé par son courage, il réussit à faire la moitié de la course avant d’abandonner, surtout à cause d’un problème technique: son intubation exigeait une nourriture spéciale, mais dans le froid extrême, cette nourriture avait gelé, et il ne pouvait donc pratiquement pas s’alimenter.
L’année suivante, son état ne lui permit pas de faire la course. Il comprit que le chemin du retour serait plus long et plus difficile que prévu, mais au lieu de se laisser aller à l’abattement, il continua à s’entraîner, travaillant avec méthode, espérant toujours.
Un des plus grands « mushers » de tous les temps !
En 2005, il s’attaqua à une autre grande course, la Yukon Quest, entre Whitehouse, au Canada et Fairbanks, en Alaska, un périple de quelque 1600 km qui suit le tracé de la ruée vers l’or pour atteindre la célèbre rivière Klondike. C’était sa première participation à cette course qui passe par quatre sommets de plus de 1100 m, et que beaucoup considèrent encore plus difficile que l’Iditarod. Comme il ne connaissait pas bien l’itinéraire, il tenta le tout pour le tout, s’accrocha aux leaders, puis, les doublant les uns après les autres, il arriva premier. Un exploit salué par un public ravi et par tout le milieu professionnel.
Cette même année, il décida de faire quelque chose que peu de mushers ont réussi: courir également l’Iditarod où il obtint une très honorable septième place. L’arrivée de la Yukon Quest n’étant séparée du départ de l’Iditarod que d’une quinzaine de jours, cela laisse en effet trop peu de temps de récupération aussi bien pour les bêtes que pour les hommes. Les règles sont strictes: un maximum de 16 chiens est permis au départ de l’Iditarod, 14 pour la Yukon Quest, mais dans les deux courses, il y a une obligation de garder au moins six chiens jusqu’au bout et interdiction de changer de chiens durant la course. Des contrôles vétérinaires ont lieu à différents « checkpoints », avec la possibilité de laisser sur place un chien trop fatigué ou blessé. Rares sont les mushers qui ont réussi à garder tous leurs chiens jusqu’à la ligne d’arrivée.
En 2006, il remporta encore la Yukon Quest, puis, en 2007, après ces longues années de combat contre la maladie, il fut le premier à gagner, la même année, les deux courses : l’Iditarod et la Yukon Quest, chose que tous considéraient tout simplement impossible.
Il répéta cet exploit l’année suivante, puis gagna l’Iditarod encore en 2009 et 2010, portant son palmarès à 4 victoires dans chacune des deux plus grandes courses de traîneau du monde, ce qui le place parmi les tout premiers, sinon le premier « musher » de tous les temps.
Lance Mackey continue encore aujourd’hui avec le même courage et la même volonté de gagner, mais comme il le confia récemment à un journaliste: « lorsqu’on a vaincu le cancer, tout le reste est du bonus. »