Le verdict du médecin est sans appel: Thomas est atteint de paralysie cérébrale, son cervelet est atrophié. Il est condamné au fauteuil roulant, et il aura sans doute aussi de graves problèmes d’élocution. C’est durant l’été 1982, alors que Thomas avait à peine six mois, que les premiers signes sont apparus, mais ce qui était pour Gary et Jocelyne Faulkner, les parents, seulement un vague sujet d’inquiétude s’est révélé extrêmement grave, compromettant l’avenir de leur petit garçon.

Le choc est terrible. Les questions se bousculent dans leurs têtes. Que s’est-il passé? Est-ce le médicament pour traiter l’asthme que sa maman avait pris pendant la grossesse qui en est responsable? Avec beaucoup de courage, ils font face à l’adversité et décident de faire tout leur possible pour donner à leur fils une enfance normale, heureuse.

Malgré tout, un garçon rayonnant de joie…!

Ils lui apportent les meilleurs soins possibles sans compter leur peine: aux soins médicaux et aux séances de kinésithérapie auprès de professionnels, ils ajoutent leurs propres efforts, lui consacrant chaque jour–et chaque nuit–un nombre d’heures impressionnant pour continuer à faire travailler les muscles des bras et des jambes.

Ils doivent le nourrir à la cuiller, l’habiller, le retourner régulièrement dans son lit la nuit, changer sa position dans le fauteuil roulant dans la journée. Malgré plusieurs interventions chirurgicales, l’état de Thomas ne s’améliore pas.

Dans le scénario si sombre pour ce garçon canadien, il y a quand même une chose positive: sa main droite n’est pas atteinte, et il peut ainsi apprendre à manipuler les commandes de son fauteuil roulant, ce qui lui offre une certaine autonomie.

Durant les premières années de sa vie, malgré son handicap, Thomas reste souriant, rayonnant de joie, au milieu des siens.

Les choses se compliquent lorsqu’en grandissant, il voit les enfants du quartier s’amuser dans la rue.

Il se sent exclu. Parfois, ils l’invitent à se joindre à eux. Il est alors ravi. Mais leurs jeux les entraînent souvent dans des endroits où il ne peut pas les suivre dans son fauteuil. Il ne lui reste alors rien d’autre à faire que de rentrer chez lui tout triste.

Et à plusieurs reprises, certains garçons prennent du plaisir à se saisir de la commande de son fauteuil roulant, l’envoyant valser sur le trottoir, l’exposant à toutes sortes de dangers. Son sort devient de plus en plus difficile à supporter.

Enfermé dans un monde virtuel…

En 1987, il commence sa scolarité dans un établissement dont les bâtiments sont conçus pour accueillir des fauteuils roulants. Au début, il semble s’adapter, mais rapidement se creuse un fossé entre lui et certains élèves qui aiment bien profiter de son incapacité à se défendre pour lui faire peur.

De plus en plus, Thomas s’isole, évite les autres et s’enferme petit à petit dans un monde virtuel, un monde de rêves, alimenté par des jeux vidéo, perdant le contact avec la vie réelle. Il n’ose plus sortir sans être accompagné et sombre petit à petit dans une profonde mélancolie proche de la dépression.

Ses parents, très inquiets, ne savent plus quoi faire lorsqu’un jour, ils ont l’idée d’acquérir pour leur fils un chien spécialement dressé pour l’accompagner et l’assister.

Il y a bien des chiens pour guider des aveugles, alors pourquoi pas pour un garçon handicapé ? A l’École des chiens d’aveugles d’Oakville, ils trouvent Turner, un jeune Golden Retriever qui pourrait peut-être faire l’affaire. Comme ce chien s’était montré peu adapté à guider des aveugles, on lui avait fait suivre une formation intensive pour assister des personnes ayant des problèmes physiques importants.

Normalement, on ne confie pas un tel animal à un enfant, mais Thomas est jugé suffisamment autonome et sage pour s’en occuper.

C’est ainsi que le 11 novembre 1991, Pam Evans, qui avait assuré le dressage de Turner, prend l’avion de Toronto à Halifax, près de la demeure des Faulkner. Cette femme douce mais énergique doit rester deux semaines dans la famille de Thomas pour apprendre à celui-ci comment s’occuper de son nouveau compagnon. Le garçon a alors neuf ans.

Avec Turner, il est prêt à tout affronter !

L’apprentissage est rendu plus difficile par la timidité de Thomas, son manque d’assurance et ses problèmes d’élocution pour donner des ordres d’une voix ferme et bien audible. Mais au bout de quelques jours, Thomas réalise que c’est la chance de sa vie, il prend de l’assurance et fait des progrès étonnants.

Pam Evans l’accompagne aussi à l’école pour bien expliquer à tous le rôle que doit jouer le chien auprès de Thomas et combien il est important que les autres élèves ne le distraient pas de sa tâche en le caressant ou en lui donnant des sucreries… Il faut qu’il reste exclusivement le chien de son maître.

Rapidement, Turner devient l’inséparable ami et compagnon de Thomas. Il le suit du matin au soir, veille sur lui à tout moment. Il sent quand quelque chose inquiète son jeune maître, et si quelqu’un s’approche trop du fauteuil roulant, il se dresse aussitôt, prêt à intervenir.

Ceux qui avaient pris l’habitude de s’amuser parfois méchamment aux dépens du garçon handicapé comprennent vite qu’ils ne peuvent plus impunément s’emparer du levier de commande de son fauteuil. Thomas retrouve son courage, ose désormais aller se promener sans que ses parents ne l’accompagnent. Il s’épanouit et peut enfin regarder en face un avenir qui aura, il le sait bien, son lot de difficultés, mais avec Turner comme compagnon, il est prêt à tout affronter.

Comme il l’écrit lui-même dans une lettre à Pam Evans pour la remercier:

«Turner est mon ami. Tu veux savoir tout ce qu’il fait pour moi ?… Quand il est près de moi, j’oublie complètement ce qui me fait peur. Il me donne du courage, des tonnes de courage. Le courage de parler plus fort, de dépasser le coin de la rue, d’oser faire des choses nouvelles. Avec lui, surtout, je ne suis plus jamais seul.»