«On va leur marcher dessus…», ces paroles brutales n’ont pas été prononcées par un «chef» d’une de ces bandes de voyous qui souvent s’affrontent avec haine et violence dans la périphérie des grandes métropoles,
mais par l’entraîneur d’une équipe de football professionnelle!
«On va leur marcher dessus!»
Après une telle harangue, faudra-t-il s’étonner de voir les terrains de sport devenir des champs clos où s’affrontent, non plus des sportifs respectueux de l’adversaire et des règles du jeu (car à l’origine c’est un jeu et un sport!), mais des mercenaires payés pour abattre «ceux d’en face» et ainsi «remplir leur contrat», et conquérir pour leurs sponsors et «clubs», argent et gloire.
Mais il faut prendre ces propos guerriers au second degré diront leurs thuriféraires… Peut-être, mais ce qui se passe depuis quelques années et de plus en plus dans les enceintes «sportives», et en particulier de football, prouve que trop de joueurs et de supporters le prennent au premier degré!
Le langage en plusieurs disciplines sportives est devenu inadmissible. On entend ainsi des commentateurs parler de «tuer le match» et autres expressions qui n’ont pas leur place dans le langage de ceux qui s’adressent à des foules et devraient, au contraire, faire montre de mesure, et éduquer!
Ce n’est pas étonnant que des «jeunes», ainsi qu’il est convenu de les nommer, «des supporters» oublient (ou ignorent!) ce qu’est le sport, son but, sa noblesse, et, en hordes barbares, hurlent, menacent, et frappent, ivres pour beaucoup d’alcool et de haine. Ne leur dit-on pas, à longueur d’année, «qu’ils sont le 12e homme… et que sans eux…»! ou «que comme ils ont payé leurs places, ils ont droit…» et autres basses flatteries qui encouragent ces «kops» à s’exciter davantage et à s’imaginer être les héros guerriers dont tout dépend!
Et comme autrefois dans les cruelles arènes romaines, on voit cet étonnant spectacle de joueurs courir saluer la horde déchaînée, non seulement en fin de match, mais même en cours de match! Et ce rituel, comme d’autres rituels, gagne de proche en proche, car la réflexion est très courte, et la contagion très grande!
Autre symptôme de la grave maladie qui atteint le sport, il faut que la police soit présente en ces lieux, sinon les affrontements risqueraient de se terminer en drame! Grillages de protection, fouilles… On croit rêver! Mais le cauchemar est bien réel… Et cet étrange spectacle entre dans les mœurs et finit par devenir normal!! L’accoutumance anesthésie les consciences!
L’argent, la passion déséquilibrée… ont envahi le domaine sportif, et menacent de le détruire après l’avoir dénaturé et avili.
Certes, il y a toujours eu émulation, passion même dans les équipes sportives et chez leurs accompagnateurs… mais, mis à part quelques excès individuels, encourant la désapprobation de tous, le respect de l’adversaire et ami sportif, la volonté de gagner ou de perdre loyalement, la joie de passer un moment de confrontation agréable, l’emportaient toujours !
Pour des affairistes, le sport est devenu «la poule aux œufs d’or». Craignons que dans leur soif insatiable, ils ne la tuent!
Mais cette violence folle est celle de la société, expliquent des sociologues et des psychologues…
Cela est évident, encore que même dans de telles sociétés, l’extrême minimum serait de sauvegarder des espaces de liberté, de dignité et de respect de l’autre.
La société est violente, nul ne peut le nier!
Mais à qui la faute!
Jour après jour, le monde virtuel de la TV, des vidéos et autres supports… diffuse la violence sous toutes ses formes…
Comme le faisait remarquer un journaliste atterré, ce sont des ruisseaux, des fleuves de sang qui coulent sous les yeux des petits et des grands.
Enfin, un petit espoir! Quelques cris d’alarme se font entendre, soulignant de manière claire la relation directe entre les images de violence et le déferlement de cette même violence chez les plus jeunes…
Les scientifiques sont unanimes et concluent que l’abus de la TV fait des ravages chez les enfants, altère leur santé, les perturbe et les rend violents…
Mais, à moins de vouloir se voiler la face: est-ce seulement «chez les enfants»?
Les adolescents… les jeunes… et les moins jeunes seraient donc immunisés?
Ce qui se passe dans les stades et ailleurs prouve le contraire, hélas!
« Le livre noir de la télévision », courageusement écrit par l’un des plus grands spécialistes du «Paysage audiovisuel français», démontre que pour faire de l’audimat, donc de l’argent, les manipulateurs ne reculent devant rien, en aucun domaine:
Violence, sexe, divertissements abêtissants… tout est utilisé pour capter les foules…
Alors que dans notre monde s’affrontent des forces considérables qui peuvent en peu de temps détruire les acquis de liberté et de tolérance que nos pères ont eu tant de mal à établir, nous devons prendre conscience, dans nos pays occidentaux, de la fragilité de la démocratie, quelque imparfaite qu’elle soit!
La démocratie, la République dans lesquelles depuis des générations nous avons eu l’immense privilège de vivre.
Au siècle dernier, notre liberté a chancelé et a failli être broyée par des régimes dictatoriaux d’une obédience ou d’une autre…
En ce domaine, rien n’est jamais définitivement gagné!
Et comme le mot sport peut être galvaudé, utilisé, trahi,
les mots liberté, démocratie… peuvent l’être également, et ceux qui les invoquent constamment dans leurs discours ne sont pas toujours leurs véritables défenseurs.
Et il en est qui les utilisent, mais semblent les avoir vidés de leur substance, jugeant que ne sont démocrates que ceux-là seuls qui pensent comme eux!
Voltaire avait une autre conception de la liberté. Il concluait avec force:
«Je désapprouve ce que vous dites, mais je défendrai… votre droit de le dire».
Il y a en effet un abîme entre la volonté de combattre les idées et celle d’éliminer les hommes.
Les tyrans, les régimes despotiques privilégient toujours une pensée unique: la leur ou celle de leur idéologie; ils ont montré au cours des siècles, et récemment encore, qu’ils ne reculent devant rien pour l’imposer!
«Tuer un homme ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme», écrivait S. Castellion.
Mais qu’est-ce qu’un homme et sa liberté pour ces personnages-là?
Est-il besoin de souligner que cet éditorial n’a aucune connotation politique et que, au-delà de joutes électorales actuelles, il ne vise tout simplement qu’à mettre en évidence la caractéristique fondamentale d’une authentique République, d’une vraie démocratie.
Du sport à la société tout entière, il n’y a qu’un pas…
Et comme autrefois on sonnait le tocsin, il est temps d’avertir que la situation devient très grave.
Au sein des familles, à l’école… partout où l’éducation doit être donnée, il faut agir.
L’homme digne de ce nom, le véritable démocrate, quelles que soient ses pensées et ses opinions, sera toujours le défenseur de la liberté d’autrui.
Dans le Sermon sur la Montagne, le Christ a averti ses disciples que la lumière peut être voilée, et même complètement dissimulée…
Source de méditation, non seulement quant aux paroles essentielles de l’Évangile,
mais aussi quant à celles, plus spécifiques, qui établissent liberté et respect au milieu des hommes.
Pasteur Yvon Charles