J’ai rencontré au cours de plusieurs décennies de voyages, tant dans le journalisme que dans le pastorat, un grand nombre d’hommes et de femmes, modestes ou puissants, en France et dans bien d’autres pays.

L’un de ceux dont l’humilité alliée à l’intelligence et à l’expérience m’a le plus impressionné est un homme de cet Orient si proche et pourtant si lointain.

Archéologue mondialement connu, universitaire de tout premier plan, il a été pour son pays un des héros dans des circonstances très graves…

Et pourtant, quand nous nous sommes entretenus avec lui, dans sa modeste maison à Jérusalem, Ygael Yadin m’apparut, tant dans sa manière d’être que dans ses propos, comme un homme simple, humble, prêt à écouter autant qu’à parler, mais si brillant par son intelligence et l’étendue de ses connaissances…

Pensons également à Cincinnatus, ce Romain de la République qui, il y a près de 2500 ans fut appelé à la tête de son pays en grand danger. Il reçut tous les pouvoirs… et ayant délivré son peuple, obtint le triomphe, honneur grandissime. Puis il regagna ses champs.

Des années plus tard, la République menacée, lui fit à nouveau appel… et une fois encore ayant vaincu, refusant tous les honneurs et pouvoirs, il retourna à sa charrue !

Ces hommes, dont j’évoque le souvenir, ont occupé des situations très importantes, et correspondent en tous points à la définition établie par un sage d’Israël, le rabbin Y. Ben Kalafta : 

«L’honneur ne vient pas de la fonction que l’on exerce; c’est l’homme qui donne de la valeur au poste qu’il occupe».

Mais l’on pourrait conclure de même à propos de tel artisan dont l’ouvrage et l’habileté honorent sa profession, ou de tel paysan, de tel ouvrier… dont la compétence, l’amour de l’ouvrage bien fait, la probité, donnent au travail de leurs mains, un rayonnement bien plus grand qu’il n’y paraîtrait au premier abord.

La noblesse n’est pas l’apanage de l’aristocratie.

On peut être aristocrate sans être noble, et noble en étant un simple ouvrier.

La vraie noblesse est celle du cœur et de la vie.

Il est des places de premier plan occupées par des personnages indignes et au comportement méprisable… L’histoire, et l’actualité, fournissent hélas beaucoup trop de tristes exemples de ce genre ! 

C’est pourquoi l’on peut respecter une fonction sans éprouver d’estime pour celui qui la remplit.

Et tout le décorum habituel déployé pour magnifier hommes, titres et charges, n’arrive pas toujours à masquer les insuffisances ou les tares.

Certes, il est peut-être nécessaire de rehausser de quelque lustre des positions éminentes, mais pas dans le but d’éblouir les peuples, les abusant par des artifices… ou par les sunlights du «vingt heures», lampe télévisée qui attire, tels des papillons de nuit, ceux qui veulent être vus…

Cela peut être en beaucoup de domaines: politiques, administratifs, commerciaux, sportifs, religieux ou autres… sans s’attarder bien évidemment sur le «show business» !

«Il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre» disait Charles-Antoine de Ligne : parole incisive, peut-être désabusée, souvent vraie, mais pas toujours.

Il en est, rares, qui sont plus grands, au sens noble du terme, dans l’intimité que ce qu’ils paraissent. Les enfants et les sages ne s’y trompent pas !

«Le roi est nu» s’écriait l’enfant d’Andersen alors que courtisans, grands, et l’ensemble du peuple ne le voyaient pas, ne voulaient pas le voir, ou se laissaient berner !

Je me souviens d’une expérience vécue par un jeune couple ami au Danemark, et que le mari, pasteur, m’a contée :

leur petit bambin d’environ trois ans était fasciné par le travail du forgeron voisin; un de ces colosses descendants des Vikings, qui frappait avec sa lourde masse le métal incandescent…

Le petit garçon était devenu son ami, et cependant, bien qu’enfant, n’en était pas moins lucide !

Un soir, après le travail, l’impressionnant forgeron vint, presque timidement, poser aux parents une question qui le tenaillait :

«Pourquoi votre petit garçon, mon petit ami, me dit parfois avec un air sévère :

– Dis donc, toi, tu sais ce qui est écrit dans Colossiens…!»

Et le grand forgeron, perplexe, attendait.

Les parents se retinrent de rire. Dans ce texte de la Bible, il est en effet question des enfants qui doivent obéir à leurs parents… parole souvent rappelée au petit bambin quand il agissait mal!

Et le géant de la forge n’eut pas de difficulté à se rappeler quand l’enfant l’admonestait ainsi : lorsque des jurons sortaient de sa bouche!

Quelle gentille, mais forte leçon pour le colosse ami du petit garçon.

 «L’honneur ne vient pas de la fonction que l’on exerce; c’est l’homme qui donne de la valeur au poste qu’il occupe».

Chacun peut trouver parmi ses connaissances ou dans ses souvenirs, des personnes qui par leur présence, leur compétence, leur humanité, ont transcendé leur fonction et marqué les cœurs.

A l’inverse hélas, tant d’autres dont le comportement, l’attitude, ont amené le discrédit sur la place qu’ils occupaient ou occupent, et causé tristesse, souffrance, parfois révolte.

A notre époque où trop souvent l’honnêteté, la conscience professionnelle ou la simple conscience, le sens de la dignité et le respect d’autrui et de ce qui lui appartient, sont tournés en dérision, il n’est pas facile de «nager à contre-courant»… Heureux celui qui ne se laissant pas impressionner ni influencer demeure ferme en tous temps… Non seulement il connaît la paix intérieure d’une conscience droite, mais, en outre, il est pour les autres, à quelque niveau qu’il se trouve, un signe d’une autre réalité, d’une hiérarchie des valeurs différente, d’une autre vision de la vie: celle qui place l’homme au centre des préoccupations, et de la réflexion.

C’est le message de l’Évangile, ce regard nouveau sur la destinée de l’homme, de chaque homme, de chaque femme, non pas numéro parmi d’autres, ou anonyme dans les foules, encore moins objet à utiliser…, mais précieux en lui-même, car être vivant créé à l’image de Dieu, et appelé à vivre dans la lumière de sa présence, instruit par sa Parole.

 


 

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