Le Dr Albert Schweitzer…

«Tenez, voici encore un autre philosophe…»

Et le Dr Schweitzer me montre, au mur, la photo d’un âne, devant lequel il se tient, les poings sur les hanches.

«…Je lui dois beaucoup.

Un jour, j’allais accepter quelque chose qui ne me plaisait pas, et j’ai rencontré cet âne qui barrait la route de Munster.

«Tire donc ton âne !» ai-je crié au petit garçon qui le gardait.

«Oh non! me répondit-il, quand l’âne dit non, c’est non !»

Fichu imbécile, ai-je pensé. Cet âne te donne une leçon.

Désormais, quand tu diras non, ce sera non !

J’étais sauvé. Alors je me suis fait photographier en face de ce grand philosophe et j’ai écrit dessous: «l’âne de Munster et l’âne de Gunsbach» (le Dr Schweitzer, qui avait vécu toute son enfance à Gunsbach, y séjournait lorsqu’il n’était pas en Afrique).

C’est à Gilbert Cesbron, homme remarquable et excellent écrivain, que le Dr Schweitzer, son ami, fit cette confidence.

Quelle humilité chez cet homme, qui fut reconnu, lors d’un référendum aux Etats-Unis, «comme le plus grand homme vivant actuellement dans le monde.»

C’était dans les années 50.

Grand, il le fut, de fait : organiste de tout premier plan, plus jeune professeur de l’université de Strasbourg, philosophe et théologien…

Mais ce ne sont pas ses multiples talents qui amenèrent une majorité d’Américains à lui décerner le titre auquel je viens de faire écho, qu’il accueillit vraisemblablement avec un sourire amusé et sans que cela n’éveillât en lui aucune ombre de vanité.

Cet homme avait en effet abandonné une carrière très brillante pour aller s’exiler dans une des régions les plus insalubres d’Afrique (et sans doute y mourir bien que jeune, car les maladies et dangers étaient redoutables, a fortiori pour un Blanc…), dans le seul but de se consacrer à soigner ces populations déshéritées.

Mais auparavant, il décida, lui, le professeur, le philosophe, le théologien… de retourner sur les bancs de la faculté de médecine en simple élève, à 30 ans, pour effectuer huit années d’études… puis devenu médecin, il quitta tout pour vivre et travailler au cœur de la forêt équatoriale.

«Le grand docteur», comme l’appelaient les Africains, édifia de ses mains le premier hôpital, village-hôpital de la brousse, tout comme des décennies plus tard, à 78 ans, il construisit également de ses mains un village pour lépreux.

C’est cet homme, prix Nobel, qui avec une humilité teintée d’humour, se fit photographier en compagnie de l’âne rencontré sur la route de Munster, et qu’il nomma philosophe car il reconnut avoir reçu ce jour-là une grande leçon.

«Désormais, quand tu diras non, ce sera non!» avait conclu le Dr Schweitzer, que la célébrité mondiale qu’il connaissait sans l’avoir aucunement recherchée n’avait pas changé.

(On ne s’enterre pas dans la brousse africaine à trois journées de pirogue… si l’on veut être au centre de la vie mondaine…).

«Non, c’est non !»

Il y a plusieurs manières de le dire et la fermeté n’exclut pas la courtoisie, à moins d’avoir affaire à des personnes plus qu’importunes, ou comme les définit si bien le qualificatif populaire “culottées”!

Tout au long de notre existence, et du quotidien de nos jours, nous rencontrons des situations, nous sommes confrontés à des choix… qui demandent et parfois imposent un refus, “un non” clair et définitif. Non catégorique également, que nous nous disons à nous-mêmes face aux incitations, aux tentations, aux propositions hypothéquantes qui jalonnent nos chemins terrestres.

Cela exige du courage, la volonté de ne pas se laisser influencer, circonvenir et encore moins entraîner!

Penser et agir en homme libre et le demeurer, pour peu, bien évidemment que les choix et conclusions soient justes.

Du courage, mais aussi de la sagesse et de la détermination, le sens des valeurs véritables…

Car il n’est pas du tout question de réagir de manière primaire, ou bornée… mais de maintenir ce qui est reconnu avec certitude comme vrai et bon.

La vérité est exigeante, mais elle seule libère…

Le mensonge, l’hypocrisie, la “courtisanerie”, tout comme la faiblesse faussent tout, et en premier lieu les relations humaines.

Les conséquences à court et à long terme ne manqueront pas de démontrer que la lâcheté ou la duplicité sont des fruits empoisonnés…

Le Dr Schweitzer avait reçu un grand enseignement d’un étonnant philosophe, l’âne de Munster.

«Quand c’est non ! (et que cela doit être!) c’est non».

Combien de parents, d’éducateurs, d’enseignants… devraient considérer la leçon reçue, et si intelligemment et gentiment soulignée par «l’Âne de Gunsbach» ainsi qu’il s’est qualifié lui-même.

Enseignement dont devraient s’imprégner également les politiciens… et autres responsables à divers titres, ainsi que “les gens des médias” et autres “faiseurs d’opinion”…,

et finalement nous tous, hommes et femmes en transit dans ce monde où tout passe, et où nous passons si vite…

La dignité de l’être humain quel qu’il soit, est d’abord sa force morale et sa détermination à ne se laisser ni corrompre, ni amoindrir.

Et que dire de la valeur de l’exemple pour les enfants, les jeunes et tous les “moins jeunes”.

Le Dr Schweitzer a tout quitté pour suivre l’exemple de Jésus, le Christ, sur les pas duquel il a voulu marcher.

Il n’est pas de plus grande lumière que celle de l’Évangile pour éclairer une vie.