Depuis quelques temps, des épiceries d’un “nouveau” genre et aux noms évocateurs fleurissent dans nombre de centres-villes et villages de France : O Bocaux, Le verre doseur, Au p’tit poids, Dose de sens, Ty Vrac… On en décompterait désormais près de 450, contre seulement 18, il y a 5 ans ! 

Leur spécificité? Offrir des produits, majoritairement alimentaires, uniquement présentés en vrac et achetés comme tels ! Ce concept semble, non seulement séduire une frange croissante de nos concitoyens, mais être réellement porté par une vraie dynamique au point d’afficher une croissance du chiffre d’affaires à faire pâlir les autres secteurs de la distribution, plus 50% chaque année ! Alors, au-delà de l’apparent retour à une distribution à l’ancienne… qu’est ce qui peut bien expliquer que le vrac emballe tant à nouveau les Français ?

Un foyer sur deux en France a désormais (principalement dans sa cuisine) des produits achetés en vrac. Céréales, semoule, riz, fruits secs, biscuits, huile, confitures, olives, café, thé, sucre, graines de toutes sortes, épices, etc. La liste est longue et variée et l’offre ne cesse de s’étoffer en bien des lieux. Toutefois, n’allez pas croire que la demande soit d’ores et déjà pantagruélique ! «Si le chiffre d’affaires du secteur est passé de 100 millions à 850 millions d’euros ces 5 dernières années, il s’agit encore d’un micromarché», explique Olivier Dauvers, expert en consommation et créateur de l’Observatoire du vrac. «Mais un micromarché qui dit beaucoup de l’évolution actuelle des comportements d’achats». 

Même le yaourt

Bien qu’en forte augmentation, la part de marché du vrac ne représente actuellement que 0,75% des ventes en France, hors produits frais! Marché émergent donc, mais assez important pour que d’ores et déjà des industriels et la grande distribution s’y intéressent sérieusement. 80% des hypermarchés sont en 2020, peu ou prou, équipés de distributeurs de produits en vrac. 

De même, quelques poids lourds de l’industrie agroalimentaire, tels Nestlé en Suisse, Kellogg’s et Unilever en Grande-Bretagne ou Danone en France testent sérieusement le concept, en passant des accords avec divers circuits de distribution. Ainsi le «champion français du yaourt» expérimente, en partenariat avec le réseau d’épiceries 100% vrac, Day by day, une offre de yaourt «par tireuse», quand Andros cherche à développer des partenariats pour une offre en vrac pour ses jus de fruits, compotes et autres confitures. 

Mais s’il est des «commerces», non totalement dédiés au vrac, où ce mode de distribution singulier est particulièrement développé, c’est bien ceux du réseau Biocoop. Le vrac y pèse d’ores et déjà en moyenne 12% du chiffre d’affaires, en progression de 17% l’an dernier. 

Or ce constat est loin d’être anodin. Car non seulement Biocoop a été pionnier en la matière, mais aussi parce que nombre de ses clients s’avèrent être plus sensibles aux arguments et avantages de l’achat en vrac… et donc précurseurs dans l’émergence d’une demande dans notre société.

Alors pourquoi achète-t-on en vrac en 2020 ? 

6% moins cher !

Plusieurs facteurs convergents peuvent expliquer cette nouvelle tendance de consommation, que l’on pourrait résumer par une volonté de plus en plus prégnante chez nombre de nos concitoyens de se réapproprier leur consommation. Comment ?

En n’achetant que les quantités dont ils ont réellement besoin, mais aussi en s’émancipant des marques et de leurs stratégies marketing… adoptant une approche plus qualitative, quitte à acheter parfois plus cher !

Pourtant n’allez pas croire que l’achat en vrac coûte forcément plus cher que l’emballé. Une récente enquête de «Que Choisir» a révélé que ce mode d’achat est même en moyenne 6% moins cher, à ceci près qu’il existe d’importantes différences d’écarts de prix avec le préemballé selon les catégories ! Le degré de concurrence sur le marché du produit en question en étant la principale explication. Ainsi, le prix des pâtes ou du riz en vrac est en moyenne 5% plus cher et même 9% pour les céréales du petit-déjeuner, alors que les fruits secs et les légumineuses sont respectivement 21% et 18% moins chers !

L’achat juste !

Ces prix en moyenne moins élevés donc peuvent paraître paradoxaux, quand on sait qu’en théorie, le vrac devrait être bien plus cher, au regard des économies qu’engendre l’emballage: mise en rayon facilitée, conservation, hygiène, traçabilité, information légale… autant de tâches qui doivent être compensées par une charge de travail supplémentaire du «personnel vraquier» … et qui se révèle être acceptée, voire revendiquée, comme un acte militant au sein de nombre «d’épiceries» ! 

S’il en est ainsi pour l’offre, il en est de même pour la demande. Plusieurs études, dont celle de 2019 de l’Observatoire Société et Consommation, analysent que les «adeptes du vrac» ont deux motivations principales :

Premièrement, ils veulent éviter le gaspillage en achetant les quantités qui leur sont nécessaires, et pas plus ! Et ce, d’autant que souvent bien des achats ont pour but des recettes ne nécessitant qu’une faible quantité d’un ingrédient, voire parfois visent à goûter un nouvel aliment. Ce désir de «l’achat juste» est renforcé par un sentiment de lassitude vis-à-vis de promotions qui incitent à toujours plus consommer et à s’encombrer de produits inutiles, qui souvent hélas finissent par périmer !

-70% d’emballage

Secondement, ils veulent aussi en faire un acte militant, de réduction des packagings de toutes sortes et, par ce biais, lutter contre les diverses pollutions et leur impact sur l’environnement. Cet engagement est illustré de facto par l’investissement dans des sacs en tissu, bocaux et autres contenants plus durables, mais aussi dans la réutilisation des sachets en papier Kraft mis à la disposition dans de nombreux magasins.

«Le fait que la clientèle réutilise ces contenants est un facteur clé de la réduction du poids de nos emballages… Ainsi, nous avons calculé que nous le réduisons de 70% !», explique Didier Onraita, cofondateur de Day by day.

Réussir à faire la démonstration de la réduction de l’impact environnemental global du cycle de vie des produits en vrac, comparativement au préemballé, demeure aujourd’hui un enjeu majeur de la filière vrac. 

Praticité, prix raisonnable, qualité sanitaire

L’Ademe vient ainsi de lancer une étude ayant pour but de lever plusieurs interrogations, notamment concernant l’impact du transport (camions peu ou mal remplis du fait des conditionnements moins «calibrés»), les pertes de produits en magasin (maladresse des clients notamment) et la moins bonne conservation des denrées à domicile. Autant de facteurs susceptibles d’accroître l’empreinte environnementale du vrac. Quoi qu’il en soit, cette étude devrait déboucher sur quelques préconisations à destination de tous les acteurs de la filière, du producteur au consommateur, en passant par l’offre des distributeurs, et ce, dans son acception la plus concrète !

Car là est sûrement le dernier défi majeur de ce concept de vente, pour lequel beaucoup d’innovations dans l’acte de distribution lui-même (trémies, bacs, bocaux, fontaines…) restent à inventer. L’enjeu étant le triptyque: praticité, prix raisonnable et qualité sanitaire… à savoir développer des solutions singulières pour rendre facile et pratique l’accès à la denrée pour le client, limiter la manutention pour le vendeur et enfin garantir l’hygiène, la bonne conservation, la sécurité alimentaire, quelle que soit la fragilité des produits considérés, produits laitiers aussi bien que légumineuses ! 

Local, bio et en vrac !

Reste que de nombreux analystes s’accordent pour mettre en avant une condition sine qua non à la survie à terme de cette niche de marché (même si elle est appelée à grandir) et à son non-détournement vers d’autres objectifs et pratiques : s’ancrer dans une vision plus globale, en termes de responsabilité économique, sociale et environnementale.

Certains distributeurs l’ont bien compris et envisagent d’ores et déjà leur offre dans ce sens. «Plus qu’un concept ou qu’un phénomène de mode, le vrac est une manière de consommer qui traduit une évolution des mentalités et d’approche de la consommation», affirme Franck Bonfils, fondateur de Un Air d’Ici.

«Il y a désormais une convergence nette entre les clientèles du bio et du vrac, mais aussi de celle désireuse d’un engagement réel pour la production et la consommation locales !» Reste qu’aujourd’hui, aux dires de plusieurs responsables d’épiceries en vrac désireux de s’engager dans cette voie, le problème majeur demeure de trouver des producteurs susceptibles de répondre à cette triple exigence du bio, local (ou à défaut en circuit court) et en vrac !

Un commerce de destination

Il serait étonnant qu’au Centre-Bretagne, une telle offre soit inenvisageable… et qu’une épicerie, promouvant d’abord (mais non exclusivement et pour cause!) des produits locaux, ne puisse justement répondre à cette demande de produits sains, bons et respectueux de l’environnement… mais non suremballés !  

Il y a fort à penser qu’une telle présence au cœur du Poher, et pourquoi pas avec une déclinaison itinérante sur quelques places ou marchés, serait une belle vitrine pour notre territoire, autant qu’un commerce de destination ô combien attractif !