Toyohiko Kagawa

Le jeune étudiant pousse sa charrette à deux roues le long des rues de la ville de Kobé, au Japon. Elle est chargée de livres, de vêtements et de quelques petits objets de ménage.

D’un pas décidé, il se dirige vers Shinkawa, l’un des quartiers les plus pauvres, où règne une misère indescriptible.

Nous sommes tout à fait au début du XXe siècle. Le jeune homme s’appelle Toyohiko Kagawa. Orphelin de mère à l’âge de 4 ans et abandonné de son père, un homme d’affaires fortuné mais terrible  » coureur de jupons « , il est d’abord placé dans une école bouddhique, et plus tard il poursuit ses études dans une mission chrétienne, où il découvre la Bible. Bouleversé par le message de l’Évangile, il se convertit à Jésus-Christ. Intelligent et travailleur, Toyohiko réussit bien ses études, et ses professeurs lui prédisent un avenir brillant.

19 ans et aucune guérison possible !

Puis un jour, lorsqu’il a 19 ans, les médecins découvrent qu’il souffre de tuberculose. A l’époque, cette terrible maladie ne laisse guère d’espoir de guérison, et pour ce jeune étudiant c’est comme une condamnation à mort. Lorsqu’il demande aux médecins combien de temps il lui reste à vivre, ceux-ci haussent les épaules et répondent : « trois à quatre mois. »

Cette réponse met fin à tous les rêves qu’un jeune de 19 ans peut légitimement nourrir, et Toyohiko en est profondément bouleversé. Il abandonne les études, et pour n’être à la charge de personne, il s’installe dans une petite cabane au bord de la mer en attendant la mort.

Ses forces déclinent et la solitude est difficile à supporter. Puis, un jour, arrive un visiteur anonyme qui prend le temps de s’arrêter, de s’intéresser à sa situation, de l’encourager.

A la suite de cette visite, Toyohiko sent l’espérance renaître, et il commence à regarder d’une autre manière le temps court mais précieux qui lui reste à vivre.

Dans le quartier de Shinkawa…

Au lieu de se révolter contre un destin qui peut paraître extrêmement dur, au lieu de se décourager ou de s’apitoyer sur son sort, il décide alors de vivre ses derniers mois parmi les plus pauvres de sa ville et de se mettre à leur service du mieux qu’il pourra.

Puisant force et courage dans sa foi inébranlable en Dieu, il se rend dans ce quartier de Shinkawa, connu pour sa misère et sa déchéance morale. Il veut partager les conditions de vie de ces malheureux, et essayer de leur apporter le message de l’Évangile et un rayon d’espérance.

Pour être accepté comme un des leurs, il loue une vieille maison et s’y installe.

Dès qu’il a gagné leur confiance, il commence un travail inlassable parmi les pauvres, les ignorants, les exploités, les malades, les mendiants et les brigands.

Il s’astreint à un emploi du temps très strict. A 5 heures du matin, déjà, Toyohiko commence sa journée. A cette heure inhabituelle, il rassemble dans son logement des garçons qui n’ont pas le privilège de fréquenter une école. Il leur apprend à lire et à écrire. En effet, dans ces banlieues ouvrières de l’époque, peu avaient l’occasion de s’instruire. La plupart des enfants travaillaient dès leur jeune âge.

A 7 heures du matin, lorsque les garçons reprennent leur place à l’usine, Toyohiko commence la visite des malades. Il recherche surtout ceux dont personne ne s’occupe. Il leur procure les médicaments dont ils ont besoin, il transporte sur sa charrette jusqu’à l’hôpital ceux qui nécessitent des soins médicaux. A tous ceux qui veulent entendre, Toyohiko parle de sa foi au Dieu Créateur, le Dieu de la Bible.

Bientôt il est accepté comme un des leurs, et de partout on vient lui demander son aide.

Un trafic d’enfants

Parfois il découvre des situations terribles. Un jour, une vieille femme lui demande d’enterrer un enfant. L’affaire lui paraît pour le moins suspecte, et il entreprend une enquête discrète pour savoir d’où vient cet enfant et quelle est la cause de sa mort soudaine. Il apprend alors que cette femme « adopte », contre une somme d’argent, des enfants non désirés de parents pauvres. Elle les laisse ensuite dépérir sans soins ni nourriture jusqu’à ce qu’ils meurent et cèdent la place à de nouveaux enfants, pour lesquels elle exige à nouveau de l’argent. Un tel commerce d’enfants n’est pas rare à Shinkawa. La femme est arrêtée, et Toyohiko peut sauver sa dernière « pensionnaire », une fillette, dans un état critique. Il réussit à lui trouver un nouveau foyer dans une banlieue de Kobé.

Chaque matin, Toyohiko consacre quelques heures à écrire ses expériences à Shinkawa. Bien lui en prend, car un jour lorsqu’il ne lui reste presque plus d’argent pour continuer ainsi sa vie, un éditeur qui a entendu parler de son travail, vient frapper à sa porte. Il lui achète le manuscrit et donne, sur le champ, un acompte qui permet à Toyohiko d’acquérir une maison plus grande, où il commence aussitôt un travail d’accueil.

Le temps passe, et le jeune étudiant voit son état de santé se stabiliser, voire s’améliorer, dans ce travail tourné vers autrui.

Les quelques mois qu’il voulait passer dans les bidonvilles, en attendant la mort comme aboutissement logique de sa tuberculose, sont devenus des années.

Conseiller auprès du gouvernement japonais

En 1913, il épouse une jeune fille qui est prête à partager, en tout, ses conditions de vie et son travail. Peu après leur mariage, bénéficiant d’une bourse d’études, Toyohiko quitte momentanément sa jeune épouse pour parfaire sa formation dans un autre pays, toujours dans le but de mieux servir. Il étudie ainsi des sujets aussi divers que la théologie, l’anatomie et la paléontologie. Il aurait pu alors abandonner sa vie difficile à Shinkawa, rebâtir une vie normale dans les quartiers riches de la ville d’où il était originaire. Il aurait pu retrouver une situation brillante mais, sans la moindre hésitation, il décide, avec son épouse, de consacrer toute sa vie, au travail parmi les pauvres. Il est à la fois missionnaire, travailleur social et sociologue. En même temps que l’œuvre missionnaire, il mène un combat pour la justice sociale, le droit de vote pour les femmes et travaille pour la paix entre les nations.

Plus tard, les autorités locales sont obligées de reconnaître l’œuvre de Toyohiko et son combat inlassable pour une plus grande justice. Après quelques missions officielles, qui lui ont été confiées, son nom est connu jusque sur le plan national et même international. Après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, il devient conseiller auprès du gouvernement japonais. 

Il a écrit plus de 150 livres, et il est en nomination pour le Prix Nobel de littérature en 1947 et 1948 et pour le prix Nobel de la paix en 1954 et 1955. Jusqu’à sa mort en 1960, à l’âge de 71 ans, lui qui à 19 ans n’avait que trois mois à vivre, T. Kagawa continue son travail missionnaire.