Ernest Cassutto et son épouse Elly

«Lorsque la sonnette de la porte d’entrée retentit, mon hôtesse, qui me cachait, ouvrit, ne se doutant pas que c’était la Gestapo venue pour m’arrêter. Trois hommes se précipitèrent à l’intérieur, revolvers aux poings. En me voyant, ils crièrent : « Haut les mains ! » Puis ils me passèrent les menottes.»

Ce jour du 1er septembre 1944, allait-il sonner pour Ernest Cassutto, comme cela avait été le cas pour tant d’autres Juifs hollandais, la fin de l’espoir de survivre au plus grand désastre que le peuple juif ait jamais connu tout au long de son histoire, pourtant si souvent tourmentée ? Son nom allait-il s’ajouter à la longue liste de personnes disparues pour toujours dans les camps de la mort ? 

Jusque-là, ce jeune homme de 25 ans avait réussi à échapper à l’arrestation, avait évité le sort tragique de la déportation. Pendant de longs mois, des années même, il avait survécu dans la clandestinité. 

Caché sous une fausse identité, accueilli dans des familles chrétiennes protestantes qui n’avaient pas hésité à prendre de gros risques en ouvrant leurs maisons à ces malheureux, traqués sans cesse par les Nazis, il savait cependant que tant que les soldats allemands foulaient le sol de la Hollande, sa vie ne tenait qu’à un fil. 

Comme ses coreligionnaires, il vivait dans une crainte constante de voir surgir, un jour ou l’autre, ces agents de la Gestapo dont le but était plus que jamais l’élimination du peuple juif.

Mai 1940 : début d’une persécution sans précédent !

Ernest Cassutto naquit en 1919 dans l’Indonésie hollandaise où son père, le DrIsaac Cassutto s’était installé avec sa famille en 1915. Il passa son enfance sur l’île de Java jusqu’en 1934, où la famille regagna la Hollande.

Après l’invasion de ce pays par les armées de Hitler en mai 1940, s’ouvrit pour la population juive un temps de persécution sans précédent, comme dans tant d’autres pays d’Europe. En mai 1942, tous les Juifs devaient se faire enregistrer par la Gestapo et le port de l’étoile jaune devint obligatoire. Les arrestations, souvent suivies de déportations, avaient commencé en 1941 pour trouver leur sommet vers la fin de 1942.

Ernest et sa fiancée Hetty décidèrent de se cacher à partir de l’été 1942. Dans un premier temps, ils réussirent à rester ensemble, mais en 1943, le couple dut chercher refuge dans des familles différentes pour des raisons de sécurité. 

Quelque temps après, Ernest apprit que sa fiancée avait été dénoncée, arrêtée par la Gestapo et déportée à Auschwitz où elle trouva la mort en janvier 1944. Son seul réconfort dans cette douloureuse séparation était de savoir que sa fiancée avait, comme lui, découvert en Jésus le Messie et qu’elle avait affronté l’épreuve avec une foi profonde et aussi un courage à toute épreuve. Il apprit notamment qu’elle avait supporté jusqu’au bout les interminables interrogatoires ignobles sans jamais dénoncer un seul ami chrétien ni aucun membre de la Résistance hollandaise.

«Eh toi ! Tu es juif, n’est-ce pas ?»

Malgré l’immense douleur, Ernest s’accrocha à la vie, continuant son errance de foyer en foyer jusqu’à ce qu’il fût, à son tour, dénoncé.

Mais lorsqu’il vit les agents de la Police secrète allemande surgir dans sa cachette ce 1er septembre 1944, il resta étonnamment calme.

«Eh toi ! Tu es juif, n’est-ce pas?» cria l’un d’entre eux, mais comme E. Cassutto ne répondit rien, l’homme, arrogant, enchaîna :

«De toute manière, la police le saura bientôt, en avant !»

Au poste, les questions se firent plus précises :

«Es-tu le fils de l’horloger Katz ?»

«Non, répondit-il calmement, je m’appelle Ernest Cassutto. Je suis le fils du professeur Cassutto.»

Sachant que ses parents se trouvaient en sécurité, il n’eut pas peur de donner sa vraie identité.  

Mais lorsque les Nazis, qui savaient maintenant qu’il était juif, voulurent connaître les noms des personnes qui l’avaient caché, qui lui avaient donné de fausses cartes d’identité et de rationnement, il refusa obstinément de parler.

Loin de lui la pensée de trahir et de mettre en danger les familles d’accueil et ses amis de la Résistance.

«Si j’avais mentionné un seul nom, dit-il, au moins 200 personnes de la Résistance intérieure hollandaise auraient péri par les mains des Nazis.»

Face à son tortionnaire :
«Tuez-moi plutôt. Je n’ai pas peur de mourir…»

«Très bien, dirent les agents de la Gestapo…, demain tu seras expédié au quartier général nazi de Rotterdam, et là, dans la chambre de torture, ils obtiendront de toi tout ce qu’ils veulent savoir.»

«En route, écrit-il dans son témoignage bouleversant, je priai le Dieu de mes pères, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, qui garda Daniel dans la fosse aux lions et ses trois compagnons dans la fournaise ardente.»

«Et, poursuit-il, mes prières furent exaucées. Le Nazi qui devait me faire subir la torture allait commencer son horrible travail quand je lui dis : «Pourquoi vous donnez-vous tant de peine, et perdez-vous votre temps ? Tuez-moi plutôt. Je n’ai pas peur de mourir. Je crois en Dieu. Je suis racheté par le Messie qui est mort pour expier les péchés de tous les hommes, même les vôtres si vous vous repentez.»

Il pouvait dire cela du fond de son cœur, car durant ses années de fuite, passant dans plusieurs foyers chrétiens, il avait appris à connaître la Bible, et par le message des Saintes Écritures, ce Juif qui n’était pourtant pas particulièrement pratiquant, avait découvert le Messie. 

Ces chrétiens vivaient vraiment l’évangile !

«Mes yeux s’étaient ouverts, raconte-t-il, pour reconnaître en Jésus celui de qui les prophètes avaient parlé… Je n’avais pas pu m’empêcher… de tomber sur ma face devant lui, et de reconnaître que mes péchés avaient été expiés par lui, comme le dit Ésaïe au chapitre 53 : «il a été blessé pour nos péchés, brisé pour nos iniquités… Oh ! Moments inoubliables !» s’exclame-t-il, et lorsqu’il avait vu comment les chrétiens hollandais n’hésitaient pas à ouvrir leurs foyers aux Juifs persécutés, cela avait été pour lui la démonstration même de l’enseignement du Christ vécu.  

L’agent nazi, qui devait lui faire subir la torture fut tellement frappé d’entendre une telle confession de foi de la part d’un Juif qu’au lieu de faire son travail de bourreau, il se mit à parler avec le prisonnier. Et lorsque sonna la cloche pour annoncer la fin de la séance de torture, E. Cassutto fut reconduit vers la salle d’interrogatoire.

«Là, raconte-t-il, Dieu fit un autre miracle. Les yeux des interrogateurs furent complètement aveuglés.»

En effet, la torture laissait toujours des traces horribles sur le corps des prisonniers, mais personne ne s’aperçut que ce Juif ne portait absolument aucune trace d’un mauvais traitement. 

Dans l’attente du départ pour Auschwitz…

Devant son refus réitéré de livrer les noms de ses bienfaiteurs, il fut reconduit en prison. On lui annonça simplement qu’il ferait partie du prochain convoi au camp d’extermination d’Auschwitz. 

Lors de l’interrogatoire, on avait trouvé, dans une poche du prisonnier, la photo de sa fiancée. Et soudain, cet agent de la Gestapo, s’était exclamé : «Je me rappelle très bien cette jeune fille. C’est elle qui a lu sa Bible jusqu’à la dernière minute.»

Ce fut pour E. Cassutto comme un message d’encouragement de la part de Dieu, une exhortation et une assurance que Dieu serait aussi avec lui jusqu’à la fin et, de retour dans sa cellule, il passa son temps à prier et à méditer la Bible, attendant sans frayeur le jour de son départ pour Auschwitz.

«La présence du Seigneur ne me quittait pas, dit-il, sa paix régnait dans mon cœur, je ne craignais pas la mort… Hitler pouvait prendre ma vie, mais il ne pouvait pas fermer la fenêtre du Ciel ouverte sur moi, même dans mon cachot noir et sordide.»

C’était déjà un miracle qu’il soit encore en vie après ces années d’errance, mais Ernest était loin de se douter de ce que le Seigneur allait encore accomplir pour lui.

La disparition mystérieuse de l’étoile jaune !

Le jour arriva où le dernier convoi de Juifs allait quitter Rotterdam pour Auschwitz. Il devait en faire partie. Mais la nuit qui précéda ce départ, un autre miracle, totalement inexplicable, se produisit. Dans la prison où il était interné, les cellules occupées par un Juif étaient facilement repérables par une étoile jaune au-dessus de la porte. Mais, comme il le dit lui-même, «une main mystérieuse» avait enlevé l’étoile jaune de sa cellule, et le matin, le convoi sinistre s’ébranla, emportant vers la mort tous les Juifs de Rotterdam… sauf un : lui, Ernest Cassutto.

«Je fus le seul Juif qui resta en prison», s’exclame-t-il. 

Un événement tellement insolite que les Allemands le surnommèrent «Der letzte Jude von Rotterdam», le dernier Juif de Rotterdam, ce qui allait, plus tard devenir le titre du livre où il raconte lui-même son histoire bouleversante.

Il resta pourtant encore des semaines et des semaines dans cette geôle terrible avant que les troupes alliées n’arrivent, mettant fin à une souffrance inouïe. Des semaines passées dans des conditions très difficiles et où, plus d’une fois, Ernest fut assailli par Satan qui le poussait à la révolte.

«Tu fais partie de la race élue ? murmurait-il. Belle affaire ! Mais pour quoi faire ? Pour être maudit comme tu l’es… Pourquoi tant souffrir ? Et en plus, uniquement parce que tu es juif ?»

Mais à ce moment, une parole que lui avait adressée un jour un chrétien vint à son secours :

«Quel bonheur cela est d’être juif! Et d’appartenir à la race élue de Dieu, d’où est sorti le Sauveur du monde!» Et il se souvint aussi de l’amour que lui avaient manifesté tant de chrétiens tout au long de sa fuite, au risque de leur vie, partageant leurs maigres rations de nourriture.

En danger de mort jusqu’à la fin !

Jusqu’au bout de sa captivité, sa vie fut en danger. Peu avant la libération, les Allemands voulurent fusiller tous ceux qui restaient dans les prisons, et il fallut une dernière intervention de Dieu pour les sauver de la mort. Un policier hollandais, un véritable chrétien, appartenant à la Résistance, avait été informé des intentions des Nazis. Il réussit à organiser pour les prisonniers une sortie aux bains municipaux, et là, il les aida à s’évader.

Peu de temps après, l’heure de la liberté sonna enfin. Ernest Cassutto retrouva les siens qui avaient été cachés à divers endroits. Toute la famille fut sauvée, et tous avaient, durant ce temps de clandestinité, trouvé la foi en Jésus, le Messie, par la lecture de la Bible. Un de ses frères, resté en Indonésie, avait pendant un temps été prisonnier chez les Japonais, mais lui aussi avait retrouvé la liberté.

En 1949, Ernest épousa Elly Rodrigues, une Juive qui avait, elle aussi, trouvé la foi et le salut en Jésus, le Messie, en lisant la Bible dans des familles chrétiennes durant la guerre.

En 1952, le couple émigra aux États-Unis où, pendant des dizaines d’années, E.Cassutto exerça un ministère pastoral jusqu’à sa retraite en 1979.

Un de ses fils, George, compléta et réédita son livre «Le dernier Juif de Rotterdam» après le décès de son père en 1985, et dans un poème émouvant, intitulé en anglais «To the Fuhrer» (Au Führer), à la mémoire des millions de victimes de l’Holocauste, il décrit les horreurs commises par les Allemands sous Hitler et termine par un appel vibrant à ne jamais oublier :

«…Nous devons vivre pour raconter au monde notre histoire

et de nos cendres lancer ce cri : «Jamais plus !»