La controverse entre les pros et les antis peut faire rage, les Français n’en ont cure, tant les vertus pour leur santé de ces gélules, ampoules et autres poudres, voire sirops, etc. leur semblent indéniables. «Les gens font une association entre beauté, santé et nutrition, à laquelle répondent ces compléments» analyse le pharmacien et biologiste Luc Cynober, auteur de «Tout sur les compléments alimentaires». 

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce marché «des compléments alimentaires» («CA») ne connaît pas la crise… mais, au contraire, se porte très bien. Il a ainsi doublé ces 10 dernières années, au point de frôler désormais les 2 milliards d’euros en France !

Toutefois, une question se pose: au-delà de l’engouement pour des noms tels que curcuma, spiruline, aloe vera, moringa, psyllium, chrome, acide hyaluronique, que cache ou révèle le formidable succès des compléments alimentaires ?

Du classique comprimé de vitamine C jusqu’à la cure de zinc contre le vieillissement de la peau, en passant par le sirop aux plantes en prévention du rhume, le psyllium pour améliorer le transit, l’huile de bourrache pour son effet hydratant, le magnésium pour lutter contre le stress et apaiser les inflammations cutanées, la gamme des possibles semble aujourd’hui sans fin… et ne cesse de s’enrichir. 

Convaincus de leur efficacité…

Désormais, la croissance du marché (+6% par an depuis 8 ans) semble attiser les convoitises. Car longtemps cantonnés aux magasins spécialisés et aux pharmacies, les compléments alimentaires attisent l’appétit des grandes surfaces (GMS) – moins de 8% des ventes –, qui y entrevoient un potentiel de nouveaux clients ainsi qu’une manière d’améliorer leur image de marque. Toutefois, le chemin de la crédibilité (et du conseil avisé !) semble long sur le marché des compléments alimentaires pour les GMS. Même si certains les perçoivent déjà comme de sérieux concurrents… 

Peut-on y voir une relation de cause à effet avec la récente alerte émise par l’Académie de Pharmacie, insistant sur les dangers des «CA»? Notons que la recommandation finale ne manque pas de renforcer cette interrogation : «l’utilisation des compléments alimentaires devrait être réservée à un usage pharmaceutique» !

Quoi qu’il en soit, les Français en redemandent. 

Selon un récent sondage OpinionWay, ils sont ainsi de plus en plus nombreux à en consommer régulièrement (33%), deux tiers d’entre eux affirmant être convaincus de leur efficacité, bien qu’une majorité avoue mal connaître le sujet. 

Et, en effet, même s’il est vrai que parfois la frontière entre les différentes catégories de produits est ténue, voire inexistante, 41% des Français confondent compléments alimentaires et produits pour sportifs, 38% les assimilent à des produits diététiques et 25% pensent que leur but est de faire maigrir !

«On les trompe !»

Pourtant, en matière de droit, le concept de «compléments alimentaires» a été «défini» par le Parlement européen, il y a maintenant 13 ans: «denrées alimentaires dont le but est de compléter le régime alimentaire normal… et offrant une source concentrée de nutriments ou d’autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique, seuls ou combinés». 

Pour autant, contrairement aux médicaments, d’après l’Agence nationale de sécurité alimentaire (Anses), ces compléments ne nécessitent pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM). Ainsi, les producteurs qui les commercialisent n’ont donc pas à soumettre un dossier pour évaluation par une instance d’expertise et sont responsables de la conformité de leurs produits avec les dispositions réglementaires en vigueur, tant en matière de sécurité que d’information du consommateur. Toutefois, ils se doivent de choisir les allégations nutritionnelles et de santé indiquées sur leur packaging, uniquement au sein d’une liste préétablie par la Commission Européenne et dont l’usage est basé sur une concentration minimum en certaines substances actives. Et l’Anses de préciser: «un complément alimentaire ne peut avoir, ni revendiquer d’effets thérapeutiques» !

Certains vont même beaucoup plus loin, tel le pharmacologue Jean-Paul Giroud, de l’Académie de médecine, brandissant plusieurs études scientifiques concluant à l’absence d’intérêt prouvé, qui n’hésite pas à déclarer : «Il n’y a aucune base scientifique à tout ce que prétendent prévenir ou guérir ces produits… Si les Français croient qu’ils reçoivent de ces fabricants une information alors qu’en vérité il s’agit de publicité, on les trompe» ! 

«Il ne faut pas jeter les compléments alimentaires avec l’eau du thé!» tempère toutefois Luc Cynober.

Remboursés par la Sécu ?

Qu’importe la polémique, une large majorité de nos concitoyens font confiance et apportent même un réel «crédit bienfait» à nombre de pilules, gélules, capsules et autres «bidules» – comme disent les mauvaises ou doctes langues – qu’offrent sur le marché les 243 entreprises françaises productrices de compléments alimentaires en tous genres, regroupées dans le syndicat Synadiet. 

De là à demander que ces «CA» soient remboursés par la Sécurité sociale, il n’y a qu’un pas que 43% des Français réclament, faisant au passage encore plus hérisser le poil des «antis CA» !

Arrivé là, il est peut-être bon que tous prennent un peu de magnésium et de vitamine B – ça ne peut pas faire de mal ! – avant d’aller plus loin. 

Et pourquoi ne pas se rappeler cette citation d’un célèbre savant: «Celui qui a fait une expérience n’est pas à la merci de celui qui n’a qu’une théorie!» 

Alors quid ?

Il semblerait que dépassionner le débat aurait un effet bénéfique pour tout le monde… et permettrait peut-être au bon sens de triompher ! 

Certes, il n’est pas rare, hélas, que dans notre société, certains publicitaires et autres mercantiles exploitent la crédulité, la souffrance ou «l’outrage du temps» pour vendre des pseudo-produits miracles. Il n’est ainsi pas étonnant que d’aucuns voient dans les seniors une cible de marché à ne pas négliger. 

Lutter contre les maux saisonniers

Mais cela étant souligné, plusieurs données du marché des compléments alimentaires semblent apporter un autre regard sur leur consommation. 

En effet, depuis quelques années, les compléments alimentaires promettant beauté, «fontaine de jouvence» et amaigrissement sont en net recul. 

À l’inverse, les ventes de ceux alléguant avoir une action bénéfique sur le stress (magnésium…), le sommeil (mélatonine…), la digestion (probiotiques et plantes…), les articulations (curcuma, chondroïtine…) sont en forte hausse. Il n’empêche que les plus prisés demeurent ceux dont les vertus semblent prémunir ou lutter contre les petites infections, notamment saisonnières ! 

Ainsi, 64% des Français voient dans les compléments alimentaires une manière d’éviter ou de limiter les petits maux épisodiques (rhume, grippe, fatigue,…), alors que 67% pensent ainsi pallier les manques d’une alimentation qu’ils jugent déséquilibrée.

Mais, derrière ce marché, l’on voit poindre nombre de caractéristiques ou maux de notre société dont les habitudes de vie et comportements sont bien éloignés d’une vie saine et à l’origine de nombre de déséquilibres : stress, manque de sommeil, alimentation déséquilibrée et carences en tous genres ont des effets néfastes sur le corps ! Vouloir y remédier au travers d’un «apport alimentaire» correctif ou palliatif ne semble pas dénué de bon sens…

Prendre en main sa santé…

«La consommation française de compléments alimentaires reflète un état d’esprit et une manière de vivre plus fréquemment observés dans les classes sociales supérieures. Il y a chez eux une plus forte prise de conscience de l’action de la nutrition sur le corps et de la possibilité d’agir en prévention afin de prendre en main leur santé» analyse Mathilde Touvier, épidémiologiste nutritionnelle à l’Inserm.

«Les acheteurs recherchent désormais des produits doux et de la naturalité qui pourraient remplacer les médicaments traditionnels… Une partie d’entre eux sont dans une démarche d’automédication, mais cette logique est loin d’être généralisée en France» explique G. Dubourg, directeur de Nutrikéo, une agence de conseil en «stratégies nutrition».

«On a trop répété aux gens en France qu’ils mangeaient mal, gras, etc., une partie de la population l’a intégré et a décidé d’agir… en achetant des compléments alimentaires» explique Jean-Michel Lecerf, chef de service nutrition à l’Institut Pasteur.  

Mais ce sont aussi souvent «ceux qui ont déjà tendance à manger équilibré, bio, plus sain…, et qui finalement en ont le moins besoin» constate M. Thouvier.  

Alors, les compléments alimentaires? Tout est finalement une histoire d’équilibre et de bon sens, comme le souligne Luc Cynober dans son ouvrage. 

Qu’il ne faille prendre un «CA» sans discernement, ni en connaître les vertus, la «posologie», une contre-indication éventuelle, va de soi… 

«Un esprit sain dans un corps sain»

Mais plus généralement, comme explique L. Cynober, il importe de raisonner en termes de spécificités de situation: âge, période de la vie, environnement, etc.  Et d’expliquer : «Le déficit en vitamine D est extrêmement fréquent chez les personnes âgées ou chez nombre de personnes peu exposées au soleil, notamment l’hiver ; l’acide folique (vitamine B9) est absolument indispensable en début de grossesse pour prévenir une maladie extrêmement rare, le spina bifida».

Alors oui, au moins dans de tels cas ponctuels, un apport complémentaire est souvent plus que bienvenu! Mais une règle demeure: rien ne remplace une saine hygiène de vie, comme dit l’adage «Mens sana in corpore sano» !