«C’est le commerce préféré des Français, 12 millions d’entre eux s’y rendent chaque jour, et pour cause, plus de la moitié de nos concitoyens affirment ne pas pouvoir se passer de ce vrai et bon pain que leur offrent leurs artisans boulangers-pâtissiers», explique Dominique Anract, président de la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie. 

Dès lors, dire que le marché du pain attise bien des appétits est loin de n’être qu’une métaphore. Industriels, hypermarchés, supérettes, «points chauds» ou désormais «enseignes de périphérie», sans jamais, pour certains, mettre la main à la pâte, s’y entendent pour se façonner une image de «panetier» plus vraie que nature ! 

Oui, désormais pour les artisans boulangers indépendants, la concurrence est rude… Mais «pas de quoi s’alarmer», estime leur président. Car ceux qui représentent encore 60% du marché du pain en France, sont loin, sous certaines conditions, d’être dans un mauvais pétrin !

Certes, le constat est implacable: nous ne consommons plus, en moyenne, que 120 grammes de pain par jour, trois fois moins qu’il y a 70 ans ! Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le pain était encore le produit de première nécessité… Depuis, les habitudes alimentaires évoluant, le nombre de repas à domicile diminuant et le pain étant régulièrement soupçonné (à tort d’après les nutritionnistes) de faire grossir, la quantité consommée n’a cessé de décroître. 

Principale conséquence: la chute, de 50 000 en 1960 à quelque 32 000 aujourd’hui, du nombre de boulangeries artisanales, qui demeurent cependant encore le commerce de proximité le plus répandu dans nos villes et villages et une spécificité bien française !

Le maquis… du business du pain

Mais, avouons-le, au pays de la baguette de tradition, plusieurs décennies durant, le pain n’a plus été réellement ce qu’il était, la prolifération des pains industriels et pseudo boulangers en tous genres, incitant davantage à une concurrence basée sur les prix que sur la qualité.

Le premier acte remonte au 9 août 1978 et la libéralisation du prix des pains jusque-là garanti par l’état… Les grandes surfaces s’engouffrent dans la brèche, faisant rapidement du pain un produit d’appel, mais avec une qualité industrielle… Puis ce fut l’arrivée en masse de « boulangeries-concept » (Mie Caline, Paul, Brioche Dorée…) ou plus exactement de terminaux de cuisson, qui s’ingénieront à afficher une authenticité de carte postale pour vendre des pains préparés industriellement. Les supermarchés reprendront l’offensive, en développant les «corner boulangeries» où tout est fait sur place. 

Puis, plus récemment, un nouvel acteur est apparu avec des enseignes comme Marie Blachère, Ange ou Louise: situées sur des nœuds routiers importants, mais faciles d’accès et dotées de parkings, ces boulangeries de périphérie allient souvent savoir-faire artisanal (le pain est bien fabriqué sur place), avec les méthodes de la grande distribution (promotion, choix pléthorique, mise en scène des produits…). 

Tradition et innovations

Depuis peu, le concept a été repris le long de nombreuses rocades où vrais comme faux boulangers, tout le monde dit vendre du bon, du vrai pain, idem pour les viennoiseries et les pâtisseries! Mais ce business «boulanger» est un maquis qui cache hélas des réalités bien différentes! 

Heureusement aujourd’hui, seuls les professionnels qui assurent eux-mêmes, à partir de matières premières choisies (eau, farine, levure et sel, sans additif), le pétrissage, la fermentation et la mise en forme ainsi que la cuisson du pain sur le lieu de vente peuvent utiliser l’appellation de «boulanger» et l’enseigne «boulangerie» ! Mais trop rares sont les consommateurs qui y prennent garde ! 

C’est pourquoi, de plus en plus d’artisans boulangers-pâtissiers redoublent d’efforts, pour mettre en valeur la qualité d’un vrai pain de boulangerie, issu d’un savoir-faire traditionnel, mais innovent en diversifiant et enrichissant leur offre ! Et cela marche ! Puisque pour la troisième année consécutive, le chiffre d’affaires moyen des boulangeries (389 000€) était en hausse de 8% en 2019 !

Alors, quelles sont les recettes qui permettent aujourd’hui à ces boulangers de vivre, voire bien vivre, de leur art ?

Baguettes et pains spéciaux

Première indication: depuis l’an dernier, la vente du pain représente moins de 50% du chiffre d’affaires des boulangeries traditionnelles. Certes, la première raison pour laquelle les Français poussent la porte de leur boulangerie demeure l’achat de pain  et principalement la baguette, qui pèse encore environ 70% dans la vente de pain! Mais là, déjà, une évolution est notable : la baguette simple, dite «blanche» (90 centimes), cède de plus en plus le pas à d’autres déclinaisons, dites de «tradition», dont les prix varient entre 1,10€ et 1,50€ ! Et que dire de la multiplication des pains spéciaux, à l’épeautre, au lin, aux céréales, mais aussi au thé vert, au citron, à la pistache, etc.? Autant de pains dont le prix au kilo peut avoisiner les 7-8€ contre 4-5€ pour la baguette ! 

Toutefois, le développement de ces pains spéciaux ou «fantaisie», bien que source d’attractivité, ne permet pas, autant que l’on pourrait le penser, aux véritables boulangers (et ce, contrairement aux «réchauffeurs» de pain industriel) d’accroître considérablement leur marge. Car de tels pains nécessitent non seulement des farines et ingrédients plus chers, mais doivent également fermenter (pour certains, pendant 15h) et être façonnés beaucoup plus longtemps ! «Sur une baguette tradition, je gagne environ 20 centimes, à peine plus qu’une baguette normale… un peu plus pour les pains spéciaux, mais dans des proportions similaires » explique un boulanger. 

Le faux artisanal, décongelé

Alors, comment font-ils ? Il faut que votre boulangerie «vous donne envie de repartir avec bien plus que la simple baguette», explique le président de la CNBP qui, depuis de nombreux mois, fait le tour de France des régions pour motiver ses troupes et les inviter à valoriser leur savoir-faire, sans jamais renoncer à la qualité !

Inutile de préciser que D. Anract ne préconise pas d’avoir recours à du surgelé pour la viennoiserie (17% des ventes), comme hélas cela tend de plus en plus à être le cas! En effet, par contrainte de temps, de coût ou simplement par facilité, plus de 50% des artisans boulangers y ont recours (l’obligation du «tout faire soi-même» pour avoir le titre de boulangerie ne concerne que le pain) ! 

Il faut dire que, pour un croissant ou un pain au chocolat, livré surgelé par un industriel comme Délifrance ou Bridor (qui proposent des centaines de références), le temps passé à la «fabrication» et la marge sont sans comparaison avec le «fait maison»! Mais n’est-ce pas là une hérésie gustative et stratégique ? 

Snacking et lieu de rencontre

Alors, si désormais les fausses «viennoiseries pâtisseries artisanales» paraissent plus «vraies» que nature une fois décongelées, cuites et habilement présentées, il est heureux que nombre d’artisans-boulangers ne succombent pas à ce mirage ! Reste aux consommateurs à reconnaître à son juste prix cette véritable production artisanale, loin du réchauffé industriel !

Mais s’il est un segment de marché qui porte aujourd’hui l’activité boulangère, tant il est rentable et a le vent en poupe (déjà près de 20% des ventes!), c’est ce que l’on pourrait englober sous l’anglicisme «snacking» ! À savoir les ventes de sandwichs, quiches, tartines, fougasses et autres produits joints… vendus, dans une formule ou non, sur place ou à emporter, et dans la plupart des cas –mais plus uniquement– pour la pause de midi ! 

« Territoires de rencontres »

En effet, selon une récente enquête du cabinet CHD, trois Français sur quatre mangent au moins une fois par mois en boulangerie! «En quelques années, il est devenu impossible pour nous de ne pas proposer de sandwichs. Les clients nous en réclament, et à toute heure, y compris en plein après-midi», confie une boulangère de centre-ville ! 

De cette révolution boulangère, il en était beaucoup question lors de la 3e Convention Internationale de la Boulangerie Moderne: «Les boulangeries se doivent désormais de créer un lieu de vie… Il faut créer des territoires de rencontres avec les consommateurs autour du savoir-faire boulanger !» expliquait notamment M. Ballay, Manager Associé du cabinet Food Service Vision. 

Le médiatique artisan boulanger Gontran Cherrier (60 boulangeries-restaurants en franchise en France et à l’étranger) est lui formel : «Le savoir-faire «boulanger» à la française est un modèle du genre, mais il faut l’adapter aux évolutions des habitudes de vie et de consommation» ! Et d’expliquer, fort de son expérience : «La clientèle étrangère n’entre pas dans une boulangerie pour acheter du pain, ce dernier ne faisant pas partie de leur alimentation de base. Elle vient passer un moment dans un point de restauration particulier, où le pain est l’élément fondamental de l’offre, et partager un moment dans un endroit dépaysant avec leurs amis et familles.» 

La boulangerie de demain…

Alors, à l’heure où tant d’élus et de commerçants cherchent désespérément des solutions pour la revitalisation de leur cœur de ville… n’y a-t-il pas là un début de réponse, moyennant quelques aménagements urbains bien pensés ? 

La boulangerie de demain ? Un lieu de proximité, de convivialité en centre-ville, avec, aux commandes, un authentique artisan boulanger, valorisant un véritable savoir-faire traditionnel local ! Et si cela était simplement un certain retour au bon sens…